ALEXANDER (2004)
Oliver Stone
Par Louis-Jérôme Cloutier
Oliver Stone est un réalisateur renommé et un visionnaire.
Le voir s’attaquer à un film relatant la vie d’Alexandre
le Grand ne peut que susciter énormément d’intérêt,
surtout en considérant le passé historico-politique de
Stone (Nixon, JFK). Projet certainement ambitieux
en vertu de son imposant budget, Alexander semble voué
à un échec plutôt cuisant dans son pays d’origine,
étant rejeté par le public et la critique. Et cela n’est
pas sans raison, Stone aurait pu réaliser un chef-d’œuvre,
un péplum comme on n'en avait jamais vu. Malheureusement, la
plupart de ses bonnes idées sont complètement bafouées
par un scénario boiteux.
Alexandre est une légende, un homme qui avait conquis la majeure
partie du monde connu à l’âge de 32 ans avant de
mourir dans des circonstances nébuleuses. Le film débute
par la présentation de Ptolémée, ancien général
écoulant le reste de ses jours en Égypte. Ce dernier récite
à des scribes la vie d’Alexandre afin qu’il soit
immortalisé par l’histoire. Dès cette première
minute, les faiblesses du scénario ne sont que trop apparentes.
Bavard à souhait, le film d’Oliver Stone multiplie les
échanges parfois intéressants et fascinants, mais plus
souvent redondants et inutilement longs. De plus, les répliques
qui semblent terriblement forcées n’aident en rien la cause.
La jeunesse d’Alexandre est escamotée de façon frustrante
à travers quelques scènes revêtant plus ou moins
d’importance hormis son apprentissage des récits des héros
grecs, mais aussi de leur cruel destin. Dans le rôle du roi Philipe,
Val Kilmer offre une interprétation déconcertante. Si
sa fougue n’est pas à remettre en question, il donne souvent
des airs de cliché ambulant semblant sortir complètement
saoul d’un bar à chacune de ses apparitions. Angelina Jolie
ne parvient pas davantage à tirer son épingle du jeu.
En faisant abstraction du fait que son personnage ne vieillit pour ainsi
dire aucunement même si on la voit évoluer sur plus de
30 ans, le manque de développement qu’on lui consacre nous
la rend extrêmement difficile à saisir, que ce soit volontaire
ou non. Ainsi, le spectateur n’est jamais tout à fait sûr
de ses intentions, situation frustrante qui empêche de comprendre
les rouages politiques du film.
Après une première partie somme toute ennuyante, on débouche
au moment fort du film, la bataille d’Alexandre contre les Perses.
Si le tout aurait pu revêtir des allures de déjà-vu
inintéressants, Stone arrive à offrir une façon
enfin différente de filmer le déroulement d’une
importante confrontation entre deux armées. On se retrouve au
cœur de l’action, les vues aériennes sont rares, le
déroulement de la stratégie est tout simplement fascinant
et le tout se déroule sur la musique très inspirée
de Vangelis (Blade Runner). Mais Stone n’est pas homme
à vouloir offrir l’histoire d’Alexandre du point
de vue des combats qu’il a menés. L’approche préconisée
vise beaucoup plus à verser dans la psychologie complexe du personnage.
Colin Farrell, inspiré et bien dirigé, s’avère
avec justesse l’acteur offrant l’interprétation la
plus accomplie de tout le film. Il suit à merveille le cheminement
personnel de son personnage et semble murir au fil de sa progression,
passant d’un jeune homme un peu naïf à un grand conquérant.
L’exploration de la sexualité d’Alexandre est également
au chapitre des bons points, sans verser dans l’exagération
et la mièvrerie, on découvre encore l’individu complexe
aux sentiments tout aussi complexes avec beaucoup de retenu. En mélangeant
efficacement fragilité, dureté, arrogance et même
folie, Colin Farell assure sa réussite, celle d’offrir
une interprétation d’Alexandre qui pourra servir d’exemple
à ceux qui tenteront de reprendre ce rôle.
Si la justesse historique du récit est tout à fait contestable,
la recherche de cette précision ne semble pas avoir motivé
Stone, pourtant reconnu pour ses films historiques. Ce dernier est surtout
inspiré par la généralité préférant
conserver une grande liberté dans les détails. Le personnage
d’Alexandre est le pilier de son histoire, un homme fascinant
dont les motivations peuvent encore trouver écho à notre
époque. Désireux de réaliser des exploits aussi
exceptionnels que les héros de son enfance, Alexandre cherche
constamment à devenir plus grand, à faire oublier son
père, à devenir un Dieu même si cela doit lui couter
tout ce qu’il possède. À travers ses ambitions,
on découvre des parallèles fort intéressants avec
l’empire américain, un parallèle que Stone n’aurait
pu éviter. Même si le scénario était en cours
d’écriture depuis plusieurs années, certains éléments
ne sont que trop porteurs de la réalité actuelle pour
n'être que de simples coïncidences. Si l’image de l’aigle
survolant l’armée d’Alexandre et lui montrant la
voie est très explicite en signification, on pense également
au fait qu’Alexandre veut conquérir le monde, unifier toutes
les nations sous sa bannière, et que cette conquête doit
être effectué par la force des armes. Croyant être
guidé par les dieux et ayant appris durant son enfance que son
peuple était le plus valeureux parmi les nations barbares, Alexandre
crée des Alexandrie un peu partout où il passe y imposant
une culture dominante. L’impérialisme américain
ne pourrait être mieux représenté.
Cependant, en revenant sur la rectitude historique, si elle ne constitue
pas une priorité il n’aurait pas été nécessaire
de passer autant de temps à vouloir la rendre crédible.
À ce chapitre, Alexander est un cours d’histoire
version accélérée dans lequel les informations
sont présentées sans laisser le temps au spectateur de
démêler la complexité du récit. De plus,
la narration didactique du personnage de Ptolémée, interprété
par Anthony Hopkins, est terriblement ennuyante et frôle l’insupportable.
On tente souvent de nous faire comprendre l’importance et la signification
de certains évènements, ne laissant pas le film parler
de lui-même. Techniquement, Stone s’offre une réalisation
bien maitrisée et somme toute réussie. On retient notamment
une scène impressionnante où Alexandre passe près
de la mort, une scène rehaussée pas la sublime photographie
de Rodrigo Prieto. De plus, les nombreux décors sont souvent
impressionnants, dont Babylone. À ce film qui allonge plusieurs
scènes à l’importance contestable, on ajoute également
un flashback des plus désagréables qui s’avère
un choix des plus désolants. Tout cela mine considérablement
la capacité du spectateur à adhérer au récit,
l’attachement dramatique n’y est tout simplement pas.
Comme pour Troy, Alexander est un film qui ne peut que décevoir
même si les raisons qui l’expliquent sont différentes.
Oliver Stone a fait l’erreur de s’offrir un scénario
au développement narratif franchement bancale. On retient davantage
la signification du récit, la psychologie du personnage d’Alexandre
et l’interprétation de Colin Farrell. À moitié
réussi, à moitié raté.
Version française : Alexandre
Scénario : Oliver Stone, Christopher Kyle, Laeta Kalogridis
Distribution : Colin Farrell, Jared Leto, Angelina Jolie, Val
Kilmer
Durée : 175 minutes
Origine : États-Unis
Publiée le : 30 Novembre 2004
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