THE AGRONOMIST (2003)
Jonathan Demme
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Port-au-Prince, Haïti. Encore debout malgré les séismes
qui secouent le pays depuis une éternité, l'édifice
d'Haïti Inter arbore fièrement les meurtrissures de balles
tirées à bout portant sur la liberté de presse
elle-même par les régimes totalitaires qui se sont succédés
au pouvoir. Jean Léopold Dominique, assassiné en avril
2000 après des années passées à combattre
à l'aide de son micro les faux libérateurs et les tyrans,
aura combattu toute sa vie pour que le peuple haïtien ait une voix
commune pour articuler son oppression et sa frustration. Pilier inébranlable
dans un pays marqué par l'instabilité politique, la voix
de Dominique a retenti sur les ondes de la plus ancienne des stations
de radio indépendantes de l'île. Exilé aux États-Unis
à plusieurs reprises durant sa vie, ce journaliste intègre
demeure cinq ans après sa mort le symbole de la lutte de son
peuple mais aussi de la lutte de tous les peuples pour la liberté
d'expression.
L'année dernière, l'excellent Good Night, and Good
Luck de l'Américain George Clooney relatait la lutte d'Edward
R. Murrow pour que la télévision de son pays soit autre
chose qu'un simple divertissement. Pour des hommes tels que Murrow,
l'information est un droit fondamental de l'humain trop souvent bafoué.
Il faut se battre pour que la vérité envahisse les ondes.
La radio haïtienne est dans un triste état lorsque Jean
Dominique, agronome de profession devenu journaliste par obligation
morale, s'y intéresse pour la première fois. Mais alors
que l'on risque sa carrière pour la vérité aux
États-Unis, c'est notre vie que l'on met en jeu lorsque l'on
s'élève contre les injustices en Haïti. The Agronomist
suit le parcours d'un véritable héros national dont la
parole était l'arme de prédilection.
C'est à partir de quelques entrevues captées au fil des
ans et des exiles que Jonathan Demme, bien connu du grand public pour
son fameux Silence of the Lambs, a monté un excellent
documentaire sur cet inépuisable militant. Dans un premier temps,
le réalisateur construit un portrait de Dominique en articulant
en courte-pointe un discours uni à partir de morceaux d'entrevues
diverses. Le personnage qu'il nous présente est vif et drôle.
Son sérieux est tempéré par une étrange
candeur qu'il garde face à l'adversité. Malgré
les quinze années d'intervalle qui séparent ses différents
entretiens avec Demme, la même flamme semble animer Jean Dominique.
En toile de fond, c'est tout le drame d'Haïti que dépeint
le film de Demme. Les incessants changements de gouvernements mènent
du pareil tout un peuple plongé dans la pauvreté et ne
sachant plus sur quel pied danser. Heureusement, ce portrait ne sombre
pas dans la carte postale misérabiliste et se concentre sur la
confusion d'un peuple plutôt que sur sa pauvreté. The
Agronomist ne cherche pas à cultiver notre pitié.
Son message en est un d'espoir. Comme Jean Dominique, Jonathan Demme
défend la démocratie de ceux qui en abusent.
En tout et pour tout, son film est d'abord un hommage à un homme
qui a eu le courage de vivre et de mourir pour ses convictions. Dans
une société où les médias sont réduits
au rôle de lessivage cervical par des conglomérats commerciaux,
la voie de l'indépendance devient une issue logique pour que
se propage une information digne de ce nom. Que ce soit en prenant le
contrôle des ondes ou en y parlant la langue des paysans le créole,
Jean Dominique prouva de son vivant que les communautés ont tout
avantage à reprendre le contrôle des voies d'expressions
publiques. En ce sens, The Agronomist est une réussite
marquante parce qu'il propose une solution tandis que plusieurs se contentent
de critiquer.
Version française :
L'Agronomiste
Scénario : -
Distribution :
Jean Dominique, Aboudja
Durée :
90 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
10 Février 2006