99 FRANCS (2007)
Jan Kounen
Par Jean-François Vandeuren
La publicité nous envahit un peu plus chaque jour. Qu’elle
se manifeste sous la forme de panneaux d’affichage, de réclames
télévisuelles ou de courriels indésirables, nous
ne pouvons tout simplement plus lui échapper. À l’intérieur
d’un marché devenant de plus en plus compétitif,
certaines entreprises n’hésitent pas à débourser
des sommes astronomiques pour vanter les bienfaits de leurs produits
et services. Leur avenir se retrouve alors entre les mains de différents
concepteurs ayant pour mandat de séduire le consommateur et de
le convaincre de sortir de sa tanière et d’aller se procurer
la toute dernière babiole sans laquelle « il ne pourrait
carrément plus exister ». C’est autour des réflexions
et du quotidien de l’un de ces « créatifs »
cyniques et désillusionnés que s’articule la trame
narrative de ce 99 Francs du cinéaste Jan Kounen. Nous
nous retrouvons ainsi au coeur de l’univers d’Octave Parango
(Jean Dujardin), l’une des têtes pensantes de la plus prestigieuse
agence publicitaire de Paris. Après avoir vécu pendant
des années en marge d’un monde qu’il contribua à
enlaidir en ne faisant de sa vie qu’une bête succession
de nuits endiablées nourries à la cocaïne, Octave
renouera avec la réalité d’une manière particulièrement
brutale. Incapable de s’imaginer dans ce rêve qu’il
tente pourtant de vendre chaque jour au reste de la planète,
Octave larguera sa petite amie au moment où celle-ci lui apprendra
qu’elle est enceinte. Dégouté par le monstre d’égoïsme
qu’il a fini par devenir, notre antihéros tentera par la
suite de remettre les pendules à l’heure en sabotant la
plus importante campagne publicitaire de sa carrière et en cherchant
désespérément à reprendre contact avec la
femme qu’il aime.
Au moment de sa parution à la fin de l’été
2000, le roman de Frédéric Beigbeder contribua à
sa façon à l’essor d’un mouvement artistique
dont l’un des objectifs était de sensibiliser le chasseur
d’aubaines qui sommeille en chacun de nous aux multiples dangers
et conséquences liés au capitalisme (sauvage) et à
la (sur)consommation. Ce discours enflammé ayant été
prononcé plus souvent qu’à son tour au cours des
dernières années, nous étions évidemment
en droit de nous interroger quant à la nécessité
d’une relecture aussi tardive du plus grand succès de l’écrivain
français. Visiblement conscients du retard qu’ils accuseraient
sur leurs prédécesseurs au moment de la sortie du présent
effort, Kounen et ses acolytes décidèrent de ne pas se
casser la tête et de situer leur histoire dans son contexte originel,
soit au tout début de la présente décennie. L’emphase
n’est d’ailleurs jamais mise ici tant sur le propos que
sur l’évolution psychologique d’un protagoniste cherchant
tant bien que mal à donner un nouveau sens à sa propre
autodestruction. Ayant passablement affaibli le ton dénonciateur
de l’oeuvre originale au profit d’une structure dramatique
beaucoup plus conventionnelle, Kounen et ses coscénaristes Nicolas
& Bruno réajustèrent tout de même le tir en
effectuant quelques choix d’adaptation particulièrement
judicieux, accordant notamment beaucoup moins d’importance aux
personnages secondaires afin de concentrer la majeure partie de leurs
énergies sur le cas d’Octave Parango. Mais si l’initiative
permet au trio de créer une dynamique narrative se distinguant
suffisamment de celle des autres essais du genre pour ne pas sentir
le réchauffé, elle finit malgré tout par réduire
la portée d’un manifeste qui avait déjà été
relégué en toile de fond, et sans lequel 99 Francs
n’aurait tout simplement aucune raison d’être.
Une telle incursion au coeur d’un univers aussi superficiel et
décadent réclamait évidemment une approche esthétique
tout ce qu’il y a de plus léchée et extravagante.
Réputé pour son style particulièrement chargé,
Kounen livre la marchandise - d'une certaine façon - en ne ratant
jamais une occasion de faire plus de bruit que ce qui est réellement
nécessaire. Ce dernier cherche ainsi à combattre le feu
par le feu en critiquant ouvertement la forme souvent grossière
et peu nuancée défendue par bon nombre de publicités
et de vidéo clips tout en basant sa démarche sur une utilisation
abusive de ces mêmes effets de style tapageurs que nous associons
généralement à ce genre de médiums. Malheureusement,
l’expérience ne produit pas toujours les effets escomptés
et engendre même de sérieux problèmes de rythme
- la résonance de l’oeuvre sur le plan dramatique étant
parfois grandement affaiblie par la vitesse fulgurante à laquelle
se succèdent les événements du récit. Le
cocktail visuel que nous sert Jan Kounen demeure certes explosif, mais
celui-ci se serait sans doute révélé bien plus
rafraichissant s’il avait été concocté quelques
années auparavant. Le cinéaste s’inspire d’ailleurs
un peu trop de la démarche visuelle colossale qu’avait
mise sur pied David Fincher pour son adaptation du Fight
Club de Chuck Palahniuk, falsifiant quelques-uns de
ses trucages numériques les plus mémorables tout en imprégnant
son effort du même ton cynique et fataliste par le biais d’une
narration en voix off à la fois lourde et monocorde. Nous pouvions
évidemment nous attendre à ce que le réalisateur
d’origine néerlandaise ne fasse aucunement dans la dentelle,
mais jamais nous n’aurions pu prévoir que ce dernier ferait
preuve d’un tel manque d’imagination derrière la
caméra.
Le cinéaste réussit tout de même à se tirer
d’affaire en ne conférant pas qu’une simple dimension
spectaculaire à ses élans et en cherchant plutôt
à lier intrinsèquement ceux-ci à l’esprit
embrouillé de son personnage principal. Kounen et ses comparses
gèrent d’ailleurs l’ensemble des éléments
de leur film d’une manière tout à fait compétente,
mais aussi quelque peu paresseuse. Ainsi, si le trio effectua plusieurs
choix d’adaptation tout ce qu’il y a de plus cohérents
- telle l’habile double finale capitalisant pleinement sur la
façon volontairement confuse dont Frédéric Beigbeder
entrecroise bien souvent réalité et fiction - il finit
également par emprunter un nombre effarant de raccourcis narratifs
lors de situations qui auraient pourtant gagné à être
un peu plus approfondies. Mais même s’il ne soulève
en soi aucune question qui n’a pas déjà été
posée précédemment, le film de Jan Kounen ne se
contente pas que de remâcher mollement cet éternel discours
sur la valeur réelle d’une quête du bonheur s’effectuant
de plus en plus en fonction de notre attirance pour les plus grandes
marques. Au-delà du malaise et du doute qu’il tend à
semer chez le spectateur, 99 Francs affiche un sens de la répartie
pour le moins surprenant en ne reniant jamais le statut artistique de
la publicité, traitant plutôt celle-ci comme la victime
d’un système corporatif qui l’aura progressivement
transformée en une nouvelle forme de pollution ambiante en l’exploitant
d’une manière toujours un peu plus excessive. Essai pertinent
à défaut d’être réellement marquant,
ce sera néanmoins pour le jeu survolté de Jean Dujardin
que nous nous souviendrons le plus de ce 99 Francs. Performance
qui réussira à nous faire oublier sur le coup la plupart
des lacunes d’un scénario développé de façon
quelque peu maladroite, tout comme le manque flagrant d’opportunisme
de ses trois maîtres d’oeuvre.
Version française : -
Scénario : Jan Kounen, Nicolas & Bruno, Frédéric
Beigbeder (roman)
Distribution : Jean Dujardin, Jocelyn Quivrin, Patrick Mille,
Vahina Giocante
Durée : 100 minutes
Origine : France
Publiée le : 22 Août 2008
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