9 (2009)
Shane Acker
Par Mathieu Li-Goyette
« Déconseillé aux jeunes enfants ». On fait
régulièrement état du fait que le cinéma
d'animation grand public vise une certaine maturité. En partie
depuis que le studio Disney est à cour de solutions, en partie
aussi depuis que l'animation par images de synthèse tel que popularisé
par les expériences de Pixar et de Zemeckis ont fait valoir la
réalisation d'un certain réalisme au coeur du cinéma
d'animation (en écartant ici les percées considérables
venant d'autre pays – le Japon est en tête de liste vous
vous en doutez). Bref, cette perte d'innocence, ce gain de cruauté
envers les pixels et l'essor d'un nouveau cinéma d'animation
tient à l'anthropomorphisation des figures animales ou inanimées
devenue accessoire à une mise en scène plus étoffée.
À la fois porteuse d'un discours se détachant aisément
de la morale enfantine, le cinéma d'animation semble s'être
donné l'espace pour dépasser les possibilités expressives
que le cinéma de prises de vue réelles l'avait restreint
à conserver timidement. Lorsque nous revenons en 2005, peu de
gens auraient pourtant cru que le jeune cinéaste prometteur Shane
Acker (à savoir qu'il était des nominés pour le
meilleur court-métrage d'animation à la soirée
des Oscars) allait être repêché par le talent créatif
de Tim Burton et Timur Bekmambetov et, par le fait même, se voir
donner la chance de porter au grand écran son projet de diplômé
de la UCLA (University of California, Los Angeles). Présentant
un monde post-apocalyptique drôlement dépeuplé,
Acker prêtait vie à de petites poupées de tissus
vidées de l'intérieur luttant contre une carcasse osseuse
d'un chien robotisé. L'enjeu: la survie et la récupération
d'un puissant artéfact qui allait libérer l'âme
des huit autres compagnons de notre dernier modèle en tête
de liste, 9.
À mi-chemin entre le mythe du golem et celui de l'univers asimovien,
le 9 de Acker possède la prémisse d'une grande
oeuvre de cinéma. À la fois par son jeu sinistre des peurs
élémentaires de l'homme, mais aussi grâce au portrait
futuriste qu'il offre d'un monde dominé par les machines. De
cette curieuse phobie de l'homme dominé par sa création,
9 vient articuler un discours intelligible sur le mythe prométhéen
de la création, de la perte d'âme et des conséquences
d'une volonté de pouvoir dépassant les illusions de grandeurs
humaines. Dérobé de son invention suprême, un scientifique
est forcé à diviser son âme en 9 parties singulières
et à les insuffler dans ces petites poupées qui devront,
une fois qu'elles auront compris le rôle qu'elles ont à
jouer, combattre le cerveau robotique qui a anéantit l'espèce
humaine. Chargé en péripéties, 9 présente
cependant des problèmes évidents dans la finition de son
scénario et dans la gestion d'un espace virtuel auquel il manque
la maîtrise d'un cinéaste-monteur; qualité essentielle
dans le domaine de l'animation où l'exactitude des plans et de
leur durée s'avère primordiale au travail des animateurs.
D'un endroit à l'autre, une discontinuité spatio-temporelle
nuit énormément au cheminement du récit. Là
où tout semble contenu autour du même pâté
de maison, les événements hasardeux et les péripéties
se suivent de façon injustifiée, la prise de conscience
du rôle de notre héros dans cet univers déglingué
penche invariablement vers des situations aléatoires qui rappellent
la structure épisodique tout en répétition d'un
jeu vidéo linéaire. Gains de pouvoirs après habiletés,
savoir après connaissance, le crescendo de 9 est simplement
précipité et sans halte aucune pour la durée (un
temps pour la réflexion) ou l'aparté (un temps pour l'humour).
Quand le cinéaste s'y attarde, l'effet est bâclé,
accessoire à un récit rapidement trop classique.
Pourtant, Acker démontre un talent indéniable d'iconoclaste
dans le domaine de l'animation. Par son plaisir à faire pénétrer
ses personnages dans des lieux lugubres aspirés de toute vie,
son premier long-métrage présente la bien noble ambition
de parvenir à une abstraction du concept d' « âme
» par lequel le cinéma d'animation s'est souvent fait fustigé.
Ses petits êtres s'ouvrent à ciel ouvert, leur corps vide
se dérobent sous les attaches qui sépare leur intérieur
« néant » d'un extérieur « objet »
où toute âme a été éradiqué
par une atroce catastrophe. Saint des saints de l'esprit du scientifique,
l'anatomie des poupées de chanvre joue sur une corde sensible
de la spécificité humaine et de son existence même.
À savoir que les protagonistes de 9 sont des objets
morts-vivants eux-mêmes terrifiants (créations de l'homme)
dans leur composition qui tentent d'échapper à des créatures
d'apparences humaines ou animales (créations de la machine).
Ainsi, un chien robotique effrayant ou un curieux serpent à mi-chemin
entre le nâga mythologique et le vagina dentata très choyé
quand vient le temps d'approcher le spectateur mâle et son éventail
plutôt restreignant de peurs primaires apportent au récit
de Acker certains moments qui culminent dans une angoisse prononcée.
Plongé dans ces ténèbres, c'est au spectateur que
reviendra la décision de permettre une telle prétention
iconographique aussitôt suivi d'un dénouement des plus
banals et des plus enfantins rejetant ainsi l'hypothèse d'un
film réellement mature. Jouant aussi sur les techniques de retardement
du suspense, le cinéaste démontre l'ambition d'effrayer
l'homme et sa cupidité par ses propres créatures futures
alors que sa sagesse, évidemment minuscule et sans défense,
doit errer dans les décombres de l'humanité. Si le concept
de son univers dément lui convient, la fin moralisatrice aux
airs animistes et bêtement créationniste apposée
aux fragments de l'âme écarte la possibilité d'une
conclusion un tant soit peu convenable.
Puisqu'une fois rassemblée, l'âme s'éparpille dans
les nuages et retombe sur terre comme de petites gouttelettes, Acker
pointe à la fois la voie pour une suite à ses premiers
pas dans le domaine du cinéma d'animation en long-métrage
tout en inscrivant finalement son film dans le registre magique qu'il
n'avait jamais abordé auparavant lors de l'oeuvre. Servi par
une vision simpliste et classique de la science-fiction, il y a un manque
à gagner entre les machines miniaturisées des petits héros
(en plus de la précision de leurs installations, des monstres
mécaniques combattus, etc.) et cet aspect presque non-avoué
de l'alchimie - science occulte des plus païenne - qui fait soudainement
basculer le travail du brillant scientifique dans celui du registre
faustien de la quête du savoir et des sacrifices qui s'en suivront.
Évidemment articulé autour de puissantes figures, 9
ne retient pourtant le souffle poétique d'aucune en se contentant
d'appliquer à sa narration des mécanismes simples peu
servis par l'inventivité visuelle du créateur. Bien vite
rabaissé par un scénario souvent douloureux et près
des fréquentes banalisations que l'on pouvait se permettre chez
Disney lors de son déclin, il est trop peu trop tard pour cet
univers original et ses visées épiques. Peu développées,
stéréotypées sans la distance du discours moderne
de la relecture (ou tout autre prétention où l'on retrouverait
un détournement à notre récit présenté),
9 lance des pistes qu'il ne résout jamais tout en s'éloignant
progressivement des premières attentes que sa brillante introduction
proposait. Premier effort cependant louable et accomplit avec les contraintes
d'un budget bien modeste (une trentaine de millions), la griffe d'auteur
d'Acker semble plaisante et son imagination lugubre débordante.
Ne nous reste maintenant plus qu'à la retrouver sous de meilleurs
jours, mais surtout dans un projet mieux réfléchi et plus
achevé.
Version française :
Numéro 9
Scénario :
Pamela Pettler
Distribution :
Christopher Plummer, Martin Landau, John C. Reilly,
Elijah Wood
Durée :
79 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
10 Septembre 2009