6IXTYNIN9 (1999)
Pen-Ek Ratanaruang
Par Jean-François Vandeuren
Imaginez la scène : votre patron vous apprend un beau matin à
vous et vos collègues qu’il doit renvoyer trois employés.
Au terme d’un jeu de hasard quelque peu douteux, vous figurez
parmi ces trois nouveaux chômeurs. Dans une situation économique
aussi précaire que celle de l’Asie à la fin des
années 90, une telle nouvelle signifie la fin du monde à
vos yeux. Voilà la situation à laquelle est confrontée
la jeune Tum dans ce deuxième long métrage du réalisateur
thaïlandais Pen-Ek Ratanaruang. (Mal)heureusement pour elle, une
boîte contenant une importante somme d’argent apparaîtra
comme par enchantement le lendemain devant la porte de son appartement.
Mais cette boîte n’est vraisemblablement pas tombée
du ciel et est plutôt arrivée là suite à
l’erreur de l’homme de main d’un gangster local. Le
cinéaste entraîne alors Tum dans une accumulation exagérée
de meurtres. Le film suit ainsi le rythme d’une comédie
noire orientée vers la mise en scène d’ironies dramatiques
et de quiproquos, mais en nous gardant cependant toujours à une
certaine distance du cœur du récit.
Dans 6ixtynin9, Pen-Ek Ratanaruang s’inspire évidemment
sans grande subtilité des événements du génial
Shallow Grave de Danny Boyle. On y retrouve le même humour
macabre au possible, mais mis en scène avec beaucoup plus de
retenue. Un fait pour le moins surprenant pour un film asiatique de
cette nature. Le présent effort ne va évidemment pas aussi
loin dans ses thématiques d’avarice et d’avidité
que le film de Boyle avait pu le faire auparavant. Ce dernier s’afférait
du même coup à mettre complètement sans dessus dessous
les bases de ce que l’on appelle communément l’amitié.
Un des points forts de Shallow Grave reposait aussi sur la
façon dont le cinéaste britannique réussissait
à faire évoluer son intrigue et le tempérament
de ses personnages jusqu’à un point de rupture tout simplement
fracassant. Une force d’impact que n’atteint malheureusement
pas le film de Pen-Ek Ratanaruang. Ce dernier nous propose un scénario
devenant un peu plus répétitif à mesure que les
cadavres s’accumulent dans l’appartement de Tum. Il faut
dire que le ton conféré au récit, malgré
qu'il soit extraordinairement soutenu, ne parvient pas à appuyer
de façon convaincante l’escalade de tension progressivement
mise en place par le cinéaste thaïlandais.
C’est pourtant à une mise en scène plus que compétente
que nous convit Pen-Ek Ratanaruang. La facture visuelle de 6ixtynin9
met bien en valeur le savoir-faire évident et la précision
du réalisateur qui aborde tout aussi efficacement chacun des
genres cités. L’effort suit ainsi les rouages de la comédie
noire et du suspense, se permettant même l’intégration
de quelques références bien dosées nous ramenant
à la comédie de situation. Mais malgré un travail
aussi bien orchestré derrière la caméra, l’exercice
demeure un peu trop froid. Le problème est que l’on cherche
en vain les ambiances psychotiques et déstabilisantes qui auraient
pu rendre le résultat final beaucoup plus dynamique et effectif.
Il s’agit d’un point tout de même assez décevant
de la part d’un cinéaste qui se révélera
un maître en la matière à peine deux films plus
tard avec son sublime Last Life in the Universe.
Mais malgré ces quelques faux pas qui sont pour la plupart d’ordre
purement technique, 6ixtynin9 demeure un film dont les élans
les plus solides d’un scénario élaboré avec
précision atteignent tous la cible. L’effort de Pen-Ek
Ratanaruang accumule ainsi les situations et les personnages absurdes
sous un amalgame de genres bien assimilés. Par contre, le tout
ne se révèle peut-être pas aussi grinçant
qu’on l’aurait souhaité. 6ixtynin9 prend
ainsi les traits d’une œuvre peinte avec le plus grand soin,
mais dont les nombreuses couches de peinture n’arrivent pas à
cacher complètement tous les numéros. Tout y est, mis
à part une signature un peu plus personnelle. Ce détail,
Pen-Ek Ratanaruang apprit à le mettre en évidence avec
le temps, ce qui lui permit du même coup de sortir une oeuvre
aussi hypnotisante que son Last Life in the Universe, quelques
années plus tard.
Version française : -
Version originale :
Ruang talok 69
Scénario :
Pen-Ek Ratanaruang
Distribution :
Lalita Panyopas, Prompop Lee, Tasanawalai Ongartittichai
Durée :
118 minutes
Origine :
Thaïlande
Publiée le :
14 Mars 2006