4 MONTHS, 3 WEEKS AND 2 DAYS (2007)
Cristian Mungiu
Par Louis Filiatrault
On a pu observer que, parfois, le contexte de production d'une oeuvre
donnée semblait jouer un rôle déterminant dans son
jugement auprès des jurys du Festival de Cannes ; on pense aux
récompenses attribuées à des films hautement discutés
comme Apocalypse Now, Le Goût de la cerise d'Abbas
Kiarostami, et bien sûr Fahrenheit 9/11. C'est donc sans
surprise que l'on a vu noter au sujet de 4 mois, 3 semaines, 2 jours,
plus récent récipiendaire de la Palme d'or, les conditions
archi-rudimentaires de son tournage, forçant un minimalisme étouffant
et un recours presque systématique au plan-séquence à
prise unique. Ceci dit, s'il est vrai qu'il ne faut jamais surestimer
le romantisme de pareils détails, l'admiration est de mise lorsque
la contrainte, accompagnée d'un scénario approprié,
se transpose en vibrante sublimation du langage cinématographique.
Ce second long-métrage du Roumain Cristian Mungiu aurait pu être
un banal film étudiant anormalement préoccupé par
des enjeux terre à terre ; c'est la remarquable rigueur de sa
mise en scène qui, principalement, l'en distingue.
Nous sommes en 1987. Otilia et Gabita partagent un logement étudiant
et subsistent de peine et de misère par l'entraide et le crédit.
Enceinte de quelques mois, Gabita se prépare à subir l'avortement,
illégal sous le régime répressif dans lequel elle
vit, en vue duquel elle a entrepris les démarches, et charge
Otilia de réserver une chambre d'hôtel et de rencontrer
le mystérieux « Monsieur Bébé » qui
s'occupera de l'opération. Mais Otilia doit aussi garder le contact
avec son petit ami, à qui elle promet de prendre part à
une fête d'anniversaire, le soir même. L'échange
entre les deux jeunes femmes et le docteur est difficile, et le déroulement
de la procédure prend une tournure cruelle lorsque les partis
n'arrivent pas à s'entendre sur la question monétaire.
La table est mise pour un film où la colère ne surgit
pas en explosions, mais imbibe plutôt le quotidien de ces personnages
discrets, apeurés.
S'il affiche son parti pris de dépouillement dès le premier
de la série de plans-séquences en laquelle il consiste,
4 mois, 3 semaines, 2 jours ne semble jamais forcer un quelconque
dispositif formel. En fait, son rythme variable épouse parfaitement
les diverses situations traversées par le personnage d'Otilia,
objet d'observation intense à la manière d'un héros
des frères Dardenne. Les travellings agités de la première
et de la dernière partie illustrent à merveille un état
d'urgence psychologique, tandis que le statisme absolu de la très
longue séquence de la chambre d'hôtel évoque l'état
de tension des protagonistes sans chercher un quelconque effet de «
nervosité » (ce qu'aurait fait le réalisateur de
télévision moyen). Et si le film délaisse le portrait
social, qu'il semble initialement privilégier, au profit d'un
resserrement intimiste plutôt angoissant, force est d'admettre
que le récit élémentaire de l'avortement de Gabita
demeure un échantillon diablement éloquent de ce qu'a
pu être la vie est-européenne dans les dernières
années du communisme.
De surcroît, l'événement le plus dramatique du scénario,
le « véritable » prix à payer de cette histoire,
est sagement relégué au hors-champ, complémentant
subtilement l'intéressante décision de ne jamais faire
prononcer le nom du dirigeant Ceaucescu. Si son esthétique du
plan-séquence n'est pas un choix comme elle a pu l'être
pour le génial Children of Men d'Alfonso Cuaròn,
4 mois, 3 semaines, 2 jours demeure ponctué de puissantes
originalités de mise en scène, comme celle d'observer
pendant plusieurs minutes le personnage d'Otilia fixer ses pensées
sur un lieu situé à des kilomètres de la fête
où elle se trouve, dans une scène valant à elle
seule le détour. L'ensemble est lourd, exigeant, mais la compassion
réelle avec laquelle il étudie la détresse, sans
tomber dans la psychologie ni provoquer de larmoyants revirements, en
fait un objet de grande valeur.
Comme tant d'excellent cinéma, 4 mois, 3 semaines, 2 jours
prend son véritable envol dans les heures, voire les jours, suivant
son visionnement. En un sens, le plus fervent défenseur de la
modestie comme vertu cinématographique pourrait aisément
grimper aux barricades et le proclamer chef-d'oeuvre. D'un point de
vue esthétique, la photographie nocturne est spécialement
efficace, et l'interprétation est, pour tout dire, parfaite,
les comédiens composant avec un naturel hors du commun des personnages
opprimés qui n'ont rien à voir avec leur propre vie. À
cheval entre le passé et le présent, Cristian Mungiu a
su raconter une tranche de vie indissociable de l'histoire récente
de la Roumanie (il s'agit après tout du premier d'une série
de « Contes de l'âge d'or ») et en extraire une matière
dramatique rendue de manière impressionnante. Avons-nous affaire
au film qui stimulera définitivement le prétendu «renouveau»
du cinéma roumain et l'amènera jusqu'à nos terres?
Le temps le dira. Pour l'instant, nous pouvons nous réjouir de
cette oeuvre franchement admirable, difficile mais riche, possédant
une existence propre en dehors de son statut de film-événement.
Version française : 4 Mois, 3 Semaines, 2 Jours
Version originale : 4 luni, 3 saptamani si 2 zile
Scénario : Cristian Mungiu
Distribution : Anamaria Marinca, Laura Vasiliu, Vlad Ivanov, Ion
Sapdaru
Durée : 113 minutes
Origine : Roumanie
Publiée le : 12 Novembre 2007
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