2046 (2004)
Wong Kar Wai
Par Jean-François Vandeuren
Sorte de suite non-officielle à In the Mood for Love,
2046 reprend d'entrée de jeu sensiblement les mêmes
attributs techniques du film précédent tout en poussant
l’initiative encore plus loin. Nous retrouvons donc à nouveau
le personnage de Chow Mo Wan, interprété par Tony Leung.
Nous sommes à Hong Kong à la fin des années 60.
Ce dernier écrit en cours de route une histoire qu’il intitule
2046, référence dans le film à une chambre
d’hôtel et, du point de vue du réalisateur Wong Kar
Wai, à la dernière année de la période où
le gouvernement chinois devait laisser Hong Kong dans son état
actuel quand elle leur fut retournée en 1997 par le gouvernement
britannique. Ce récit futuriste évoque un mystérieux
train se rendant à ce qu’on appelle 2046, un endroit épargné
par le passage du temps. Un lieu où les gens se rendent pour
retrouver leur mémoire perdue. On ne pourrait dire cependant
si tout cela est vrai puisque personne en est revenu. Sauf un, celui
dont le récit fait état. Mais le raisonnement se terrant
au coeur de cette fiction futuriste a un sens qui émane du passé
et du présent de son auteur. Les écrits de Chow Mo Wan
deviennent ainsi un refuge où il y partage métaphoriquement
l’état de ses relations avec les femmes, expliquant peut-être
pourquoi il est incapable d’offrir à cette histoire une
conclusion heureuse.
Ah l’amour! Ne s’agit-il pas là du plus grand mystère
que la vie a à nous offrir comme le mentionne si souvent le premier
roman à l’eau de rose venu? Si les films romantiques n’ont
d’ordinaire qu’à pousser deux personnages dans les
bras l’un de l’autre dans une mise en situation quelconque
pour qu’une relation sérieuse prenne forme avant l’arrivée
du générique de clôture, les révélations
du personnage principal du film de Wong Kar Wai mentionnent pourtant
que ce n’est pas si simple en dehors d’une pellicule ou
des pages d’un livre. Tout comme le démontrait d’une
manière très sophistiquée Michel Gondry avec son
film Eternal Sunshine of the Spotless Mind, de tels sentiments
ne sont pas le fruit d’une équation à apprendre
par cœur et à réciter ensuite mot à mot. Wong
Kar Wai illustre de cette façon quelques-unes des raisons pouvant
expliquer l’absence d’une chimie sérieuse entre deux
êtres, que ce soit la non réciprocité, ou le fait
que l’une des deux personnes impliquées n’ait tout
simplement pas agi au bon moment. Mais tout cela ne serait-il pas dû
qu'à une simple peur de la solitude qui finirait tôt ou
tard par nous rattraper? Quoi qu’il en soit, ces diverses hypothèses
concernant cette sphère de la vie où tout y est si incertain,
Wong Kar Wai parvient à les explorer avec une retenue phénoménale
en plus d'une habileté saisissante à les fondre à
ses images et atmosphères sans qu’elles n’en deviennent
jamais superflues.
2046 en vient à démontrer une fois de plus le
talent spectaculaire de Wong Kar Wai autant pour ce qui est des ambiances
de son œuvre qu’il crée avec une intuition quasi surnaturelle,
que sa mise en scène visuelle à couper le souffle et sa
direction d’acteurs desquels il réussit à aller
chercher le meilleur d’eux-mêmes. Cependant, les points
forts de ce cheminement artistique demeurent le montage utilisant de
façon brillante ses moindres ralentis, et évidemment,
la photographie de Christopher Doyle (Hero) qui se montre sous
un jour étincelant. Toutes ces facettes sont d’ailleurs
particulièrement mises à profit lors des scènes
imageant l’univers fictif du récit. Par le biais de certains
effets de style et des couleurs phénoménalement flamboyantes,
Wong Kar Wai réussit à nous transporter dans un monde
futuriste éclectique aussi technologique qu’aux idées
rétros, détail assez bien pensé vu l’époque
où la trame principale se déroule.
Plutôt que de chercher à nous faire rêvasser sur
le grand amour à l'hollywoodienne, Wong Kar Wai tend ici à
se montrer plus rassurant en nous expliquant à l’opposée
pourquoi tout ne se déroule pas toujours comme on le voudrait.
Ce dernier est donc parvenu ici à surpasser à plusieurs
égards ses subtils élans amoureux déjà fort
impressionnants de In the Mood for Love. 2046 se révèle
ainsi comme un film plus ambitieux et donc plus complexe, usant fort
habilement la perspective de son personnage principal et de ses écrits
pour permettre un partage d’idées et de réflexions
sur les relations amoureuses fort cohérent. Le film tire d’autant
plus profit de ses ambiances somptueuses élaborées avec
lenteur et pourtant, il ne faudra pas nécessairement s’armer
d’une patience à toute épreuve pour se laisser convaincre
autant par les couleurs cosmiques de ses récits de science-fiction
que ses adroites incursions dans les quartiers du Hong Kong des années
1960.
Version française :
-
Scénario :
Wong Kar Wai
Distribution :
Tony Leung, Li Gong, Takuya Kimura, Zhang Ziyi
Durée :
129 minutes
Origine :
Chine
Publiée le :
10 Avril 2005