2012 (2009)
Roland Emmerich
Par Jean-François Vandeuren
Il faut croire que Roland Emmerich se sent systématiquement obligé
d’anéantir une partie de la Terre une fois tous les trois
ou quatre ans. Après tout, son oeuvre a déjà été
le témoin de la destruction des plus grandes villes du monde
par une horde de vaisseaux extra-terrestres, du désordre semé
par un lézard géant en liberté dans les rues de
Manhattan, et du début d’une nouvelle ère glacière
engendrée par les réchauffements climatiques. Peut-être
est-ce sa façon bien à lui de mettre en garde les habitants
de la planète bleue des dangers (hypothétiques ou non)
qui les guettent. Mais le manque total de subtilité dont souffrent
ses méthodes a souvent tendance à faire passer ce dernier
pour un hurluberlu au regard fou sillonnant les rues en criant à
qui veut l’entendre que la fin est proche. Armé d’un
budget colossal de 260 millions de dollars, le cinéaste allemand
« s’inspira » cette fois-ci d’une ancienne prophétie
maya annonçant un cataclysme planétaire pour le solstice
d’hiver de l’an 2012 pour orchestrer un spectacle de démolition
sans précédent. La prédiction s’avérant
ici exacte, ce dernier s’intéressera d’abord au cas
d’un scientifique américain (Chiwetel Ejiofor) participant
à un projet d’envergure devant assurer la survie de la
race humaine. Nous serons ensuite invités à suivre le
parcours d’un écrivain raté (John Cusack) qui tentera
par tous les moyens de sauver ses enfants et son ex-femme (Amanda Peet)
du déluge. Heureusement pour lui, une rencontre fortuite avec
un étrange animateur de radio (Woody Harrelson) lui permettra
de découvrir l’endroit exact où sont construites
ces nouvelles arches de Noé. Le groupe survolera donc le chaos
ambiant jusqu’à destination. Mais il découvrira
en cours de route que ce n’est pas tout le monde qui a une place
réservée sur l’un de ces immenses engins.
Évidemment, toute explication scientifique - ici, le réchauffement
du noyau terrestre causé par un alignement des planètes
- est en soi complètement superflue, puisque ce qui intéresse
Emmerich avant toute chose, c’est de mettre des édifices
à terre et de créer de gigantesques tsunamis virtuels.
Ainsi, peu importe le degré de lecture, il ne fait aucun doute
que ce nouvel opus du plus américain des réalisateurs
allemands sera accueilli comme une misérable connerie sans nom.
Mais le cinéma de Roland Emmerich est pourtant régi par
une série de codes bien précis, faisant de 2012
une oeuvre qui, à défaut d’être nécessairement
brillante, s’impose à tout le moins comme un objet d’analyse
particulièrement distrayant. Celui qui avait eu l’audace
de réunir Jean-Claude Van Damme et Dolph Lundgren dans l’ô
combien mémorable Universal Soldier de 1992 aura même
osé prendre le pari culotté, mais non négligeable,
d’inscrire son ambitieuse pétarade dans un contexte sociopolitique
tout ce qu’il y a de plus concret. L’avenir de l’humanité
sera du coup assuré par l’entreprise privée alors
que les billets pour cette croisière post-apocalyptique se vendront
dans le secret le plus total au coût d’un milliard d’euros,
ce qui ne laissera évidemment aucune chance à la classe
ouvrière, en particulier à cette valeureuse main-d’oeuvre
chinoise sans qui les travaux n’auraient pourtant pu être
complétés à temps. Mais malgré une ouverture
tout à fait accessoire sur le reste du monde, le coeur du film
d’Emmerich demeure l’état de l’Amérique,
accordant une fois de plus une place extrêmement importante à
cette figure mythique que représente le président des
États-Unis. Ce dernier est personnifié ici par un Danny
Glover que l’on associera dès sa première apparition
à Barack Obama, lui qui sera d’ailleurs présenté
tout au long du film comme un homme politique calme et posé qui,
même devant la mort, restera toujours auprès de son peuple.
À l’instar des précédents efforts du cinéaste
allemand, les héros de 2012 s’avèrent être
des individus beaucoup plus de tête et de coeur que de muscles.
Ainsi, dans la plus pure tradition de Stargate, Independence
Day et The Day After Tomorrow, Emmerich nous introduit
de nouveau à deux figures, l’une scientifique et l’autre
artistique, qui finiront par incarner la bonne conscience de l’humanité
tout entière. Le réalisateur ira d’ailleurs jusqu’à
utiliser l’emblème par excellence du cinéma de gros
bras - dont il soulignera l’inefficacité dans de telles
circonstances - pour appuyer son discours tout en ancrant définitivement
son récit dans un contexte bien « réel ».
Emmerich se servira également des caractéristiques de
ses protagonistes pour extérioriser certains mécanismes
de sa trame narrative. Le manque de ponctualité du personnage
interprété par John Cusack finira en ce sens par faire
souffrir l’ensemble du film du fameux « syndrome d’Armageddon
», qui consiste à répéter continuellement
le même stratagème pour générer du suspense
en plaçant les protagonistes dans une impasse dont ceux-ci ne
pourront évidemment se sortir qu’au tout dernier instant.
Le réalisateur s’en est d’ailleurs permis beaucoup
avec 2012, insufflant notamment une bonne dose d’humour
à quelques-unes des séquences les plus alarmantes de sa
production. L’anéantissement des grands centres prendra
alors les traits d’un spectacle burlesque assumant entièrement
le nombre exorbitant d’invraisemblances qu’il s’affère
à lancer au visage des spectateurs. Emmerich n’hésitera
pas non plus à user de symboles grossiers dignes des pires films
de série B pour illustrer son propos. On pense, entre autres,
à cette fissure au plafond de la chapelle Sixtine qui séparera
l’homme de Dieu, ou encore à ces cinquante ans de politique
américaine qui ravageront Washington sous la forme d’une
immense vague charriant un porte-avion curieusement baptisé USS
John F. Kennedy.
Il faut dire que le désordre dans lequel est plongé le
présent effort se veut en soi le reflet de la situation actuelle
d’une Amérique - et d’une planète - aux prises
avec un bordel socioéconomique qu’elle n’arrive tout
simplement pas à gérer. 2012 sera d’ailleurs
le théâtre d’une constante opposition entre la raison
et les sentiments qui placera l’ensemble des personnages dans
une situation pour le moins précaire. Ce sera le cas, notamment,
de ce bureaucrate interprété par Oliver Platt qui sera
appelé à prendre des mesures on ne peut plus drastiques
pour protéger l’avenir de la race humaine, mais qui ne
sera jamais étiqueté comme un individu totalement amoral.
Évidemment, un film de Roland Emmerich ne serait pas complet
sans une certaine analyse des relations père-fils. Et vraiment,
ici, il y en a pour tous les goûts! Qu’il s‘agisse
du cas de ces deux musiciens entretenant une relation à distance
bien différente avec leur progéniture respective, ou celui
du personnage de John Cusack, qui se verra offrir une seconde chance
d’être un père responsable alors que son créateur
se débarrassera du nouveau mari de sa femme, et ce, d’une
manière particulièrement mesquine. Mais le récit
de protagonistes aussi peu nuancés est évidemment bien
secondaire dans un tel scénario. Ce qui compte, c’est la
technique. Et sur ce plan, Emmerich assure avec une mise en scène
évidemment lourde en fioritures et en effets spéciaux,
mais néanmoins précise, loufoque, et surtout diablement
efficace. Car nous pourrons une fois de plus accuser le réalisateur
de bien des choses, mais certainement pas de ne pas tenir ses promesses.
Pour le meilleur et pour le pire, le cinéaste allemand nous livre
au bout de ces deux heures et demie de tapage et d’exubérance
son oeuvre la plus aboutie à ce jour. Peu importe ce que cela
signifie…
Version française : 2012
Scénario : Roland Emmerich, Harald Kloser
Distribution : John Cusack, Amanda Peet, Chiwetel Ejiofor, Thandie
Newton
Durée : 158 minutes
Origine : États-Unis, Canada
Publiée le : 13 Novembre 2009
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