15 FÉVRIER 1839 (2001)
Pierre Falardeau
Par Alexandre Fontaine Rousseau
On peut bien penser ce que l'on veut de Pierre Falardeau, il faut à
tout le moins admettre qu'il a le courage d'afficher ses opinions sans
faire de compromis. Ses films sont l'exact reflet de sa pensée
et leur sortie relève autant de l'évènement politique
que de l'évènement cinématographique. Reprocher
à Falardeau d'être biaisé ou de manquer de subtilité,
c'est ne pas comprendre le personnage et ne pas savoir comment aborder
son oeuvre. Cela dit, on est en droit de le préférer lorsqu'il
fait preuve d'un peu de retenue et de sensibilité plutôt
que de sombrer dans ses crises intermittentes de Gratton-isme
aigüe légèrement redondantes et plutôt faciles.
Il faut toutefois accepter que ces deux facettes du réalisateur
québécois sont les extensions naturelles d'un même
combat passionné qu'il livre depuis toujours pour avoir un pays
qu'il puisse vraiment appeler le sien. Cette lutte est l'essence même
de ce qu'il est et de ce qu'il fait. Quiconque ne partageant pas son
rêve ne sera pas interpellé par ses films. C'est normal.
Cela ne les rend pas pour autant «inférieurs». La
neutralité mène, règle générale,
à la banalité.
D'une certaine façon, 15 février 1839 est le
film ultime de l'oeuvre de Falardeau, l'aboutissement logique de son
parcours créatif. C'est à tout le moins celui qu'il a
toujours rêvé de faire. Ce qui étonne, c'est qu'il
ait pris tant de temps avant d'en accoucher. Ironiquement, le financement
d'un projet dit sérieux et respectable tel que celui-ci ne fut
assuré qu'à la suite du succès commercial d'un
second volet des aventures d'Elvis Gratton boudé par la critique
mais embrassé par le public. Disons que Téléfilm
Canada n'a pas dû à priori être vendu à l'idée
de financer un film sur ce sombre segment de l'histoire du Bas-Canada
plutôt mal couvert par les fameuses Minutes du patrimoine.
Par ailleurs, percevoir 15 février 1839 comme une attaque
en règle contre les «maudits Anglais» relève
de l'erreur, même s'ils n'y sont pas présentés sous
leur meilleur jour. C'est plutôt une célébration
romantique de nos ancêtres qui se sont battus avec l'énergie
du désespoir pour obtenir leur indépendance. C'est l'évidence
même que ce vibrant hommage aux patriotes vise avant tout à
stimuler la fibre nationaliste du spectateur. Il faut cependant noter
que Falardeau s'attarde plus à rendre ses personnages et leur
cause sympathique qu'à dénigrer leurs adversaires. N'empêche,
il se permet quelques farces méchantes qui font sourire.
Le projet de raconter les dernières heures de la vie de Marie-Thomas
Chevalier de Lorimier germe depuis longtemps dans l'esprit de Falardeau.
C'est une trame narrative épurée qui permet au réalisateur
québécois d'offrir un film nourri à la fois par
la qualité intimiste du huis clos et par le souffle épique
de la production historique. À la différence du Quand
je serai parti, vous vivrez encore de Michel Brault, un autre film
sur le même thème qui jouait plutôt la carte de la
production grand public, 15 février 1839 est un véritable
film d'auteur. Falardeau y transparait dans tous les mots de chaque
réplique. C'est son énergie qui anime le Chevalier de
Lorimier de Luc Picard. Le ton du film a quelque chose de déclamatoire
qui aurait pu irriter et transformer 15 février 1839
en simple discours de Falardeau sur la condition québécoise.
Mais voilà que la force émotionnelle remarquable de ce
drame, l'affection débordante de Falardeau pour ses prisonniers
et la chaleur profondément humaine de l'ensemble permettent au
film de dépasser ce niveau.
En traitant d'un drame collectif en partant d'une perspective tout d'abord
individuelle, le cinéaste arrive ainsi à dresser un portrait
véritablement déchirant du dernier jour de son condamné
et à frapper le spectateur de plein fouet. Avant tout, 15
février 1839 est la confrontation finale entre un homme
et la mort. Thème universel s'il en est un. Les scènes
entre De Lorimier et sa femme (Sylvie Drapeau) sont d'une intensité
contenue tout aussi frappante que la dernière marche de nos cinq
patriotes jusqu'à l'échafaud. Ce refus de la facilité,
ce désir de doser ses effets dont fait preuve Falardeau se ressent
jusque dans les décors dépouillés de Jean-Baptiste
Tard et la direction photo d'Alain Dostie, qui joue avec les zones d'ombres
autant qu'avec la lumière et ajoute au climat isolé et
introspectif de l'ensemble.
Passionné et furieux tout autant qu'il est capable de sensibilité
et de retenue, 15 février 1839 s'avère une réussite
sur toute la ligne pour Falardeau. Si l'objectif de l'auteur était
de stimuler la ferveur nationaliste de ses compatriotes, son film accomplit
plus qu'honorablement la tâche. Par ailleurs, son drame historique
au parti pris fièrement assumé a aussi le mérite
d'être un drame humain poignant sur la force de la collectivité
face à la défaite. En présentant avec une puissante
conviction ce moment fort et tragique de notre courte histoire nationale,
Falardeau offre un testament vibrant et articulé à sa
patrie. Se faisant, il confirme sa place en tant que figure de proue
souverainiste du grand écran québécois. Que ceux
qui l'aiment le suivent...
Version française : -
Scénario :
Pierre Falardeau
Distribution :
Luc Picard, Sylvie Drapeau, Frédéric
Gilles, Pierre Rivard
Durée :
120 minutes
Origine :
Québec
Publiée le :
15 Février 2005