1408 (2007)
Mikael Håfström
Par Louis Filiatrault
Pour une raison ou pour une autre, les thrillers à la sauce surnaturelle
(assaisonnés de vedettes, bien entendu) marchent très
fort. Le succès phénoménal, en vidéoclubs,
du récent Number 23 de Joel Schumacher n'en est qu'un
exemple. Mais de manière à bien entretenir l'appétit
d'un public jamais rassasié, certaines conditions s'avèrent
de rigueur. Un sujet peut susciter la curiosité, voire à
la limite un certain voyeurisme, mais doit éviter de trop déranger.
Une esthétique standardisée, transparente, aux quelques
caprices plus frappants, est une bonne manière de concentrer
l'intérêt du spectateur sur les quelconques banalités
que l'on décide d'étaler devant ses yeux, son attention
ne pouvant se permettre de dériver sur des considérations
d'ordre artistique. Mais surtout, un grand poids repose sur la finale.
Certains, comme le Number 23 déjà mentionné,
s'exercent (mal) à une rationalisation forcée des éléments
mystérieux ou menaçants de leur récit, suivant
l'exemple peu reluisant de l'épilogue du fameux Psycho
de Hitchcock. D'autres, comme le présent 1408 de Mikael
Håfström, choisissent de diluer leurs composantes au point
de les rendre parfaitement insignifiantes, se réclamant d'une
certaine ambiguïté qui au final ne s'ouvre que sur du vide.
Des tactiques qui, dans un cas, réussissent formidablement à
renvoyer le spectateur à sa réalité dans un parfait
sentiment de sécurité, et dans l'autre à déguiser
en expérience cérébrale, inspirant un agréable
sentiment d'intelligence encourageant le second visionnement ou encore
l'achat, une simple opération de survol de la logique. Stratégies
manipulatrices, cultivant bêtise et naïveté chez l'auditoire,
s'il en est.
1408, avant d'être quoi que ce soit d'autre, est une
sérieuse confirmation du fait que bien peu d'efforts sont nécessaires
à la mise en marché efficace d'un thriller, aussi stupide
soit-il. Composé d'une première partie lourde en dialogues,
d'un second tiers permettant quelques passages d'angoisse légitimes
et d'un dernier accumulant les développements spectaculaires,
il rassemble en trois bassins bien définis les morceaux nécessaires
à l'élaboration d'un millier de bandes-annonces plus interchangeables
les unes que les autres. Dans ce cas-ci, un objet narratif plus ou moins
concret permet essentiellement aux images de vendre le film par elles-mêmes.
Une apparition de Samuel L. Jackson (dans le rôle toujours populaire
de « Samuel L. Jackson ») s'accomode du reste de la besogne.
Présenté comme un angoissant huis clos à protagoniste
unique, le film laisse tout de même croire à un pari audacieux.
Après tout, bien des films mémorables ont par le passé
établi l'imaginaire de leur héros solitaire comme principale
source de leur fiction (et de leur intérêt). Mais l'histoire
du recyclage hollywoodien, sous une forme facilement digestible, de
concepts artistiques intéressants étant ce qu'elle est,
nous nous retrouvons avec une proposition bien mince. En effet, s'il
croule bel et bien sous une structure rigide et prévisible ainsi
que sous les effets-chocs gratuits, le plus grand problème de
1408 est de ne pas raconter d'histoire intéressante.
Mike Enslin est un auteur à moyen succès gagnant sa vie
en publiant des livres documentant ses passages dans les diverses «
maisons hantées » d'États-Unis en manque de sensations
fortes. Il y a longtemps que ces visites, devenues routinières,
ne parviennent plus à lui soutirer le moindre frisson, et Enslin
attend impatiemment le moment où l'un de ces terrifiants lieux
parviendra à l'intriguer à nouveau. C'est alors qu'un
peu de documentation sur la mystérieuse suite 1408 de l'hôtel
Dolphin, à New York, se présente à lui. Un échange
avec le directeur de l'hôtel rappelle à l'écrivain
(et surtout au spectateur) la charge énigmatique de cette chambre
dont personne n'est jamais sorti vivant, ce qui n'arrive en rien à
décourager notre bon héros, qui s'aventure dans la suite
et y vit... « quelque chose ».
La raison d'être du film est tout simplement de leurrer le spectateur
curieux de découvrir en quoi consiste exactement ce titillant
« quelque chose ». Qu'il déçoive largement
à ce niveau s'avèrerait apparemment de moindre importance,
son motif étant avant tout de bien remplir les coffres. Sans
entrer dans les détails, disons simplement que 1408
met en images les retrouvailles d'un athée avec la foi religieuse
qu'il a jadis perdue à la suite d'un événement
tragique. Un tel sujet, traité par quelqu'un d'autre, aurait
pu s'avérer complètement légitime. Mais le présent
film ne parvient jamais à faire le pont, de façon cohérente
et surtout significative, entre la réalité psychologique
du héros et les phénomènes paranormaux (confirmés
justement comme imaginaires) auxquels il est soumis. Si bien que, peu
de temps après quelques péripéties impliquant le
repli du papier de toilette, il en arrive à halluciner des clowns
armés de clés anglaises. Dans 1408, l'horreur
relève strictement de l'anecdote, de l'éphémère,
renforçant l'impression d'un film purement publicitaire. Ses
multiples séquences d'action ne laissent aucun répit à
son spectateur, refusant ainsi de réaliser convenablement le
potentiel du contexte d'isolement dans lequel est placé le protagoniste,
tandis que ses passages révélatoires, de registre plus
émotif, ennuient au plus haut point, ceux-ci émergeant
de nulle part et occupant une dimension complètement déconnectée.
Pourtant, le film ne manque pas de formuler certaines promesses. Si
sa première demi-heure de mise en place ne défriche aucun
territoire, montée selon les standards d'une facture télévisuelle
tout juste fonctionnelle, force est d'admettre qu'elle a du rythme à
revendre. Deux ou trois images d'enfermement plutôt détonnantes
anticipent diaboliquement les choses à venir, tandis que la scène
avec Jackson divertit à défaut d'être intéressante.
Mais c'est surtout la séquence de la présentation du lieu
de l'action qui inspire le plus de sympathie. Håfström est
très habile dans sa mise en scène de l'exploration de
la suite 1408, comptant plusieurs cadrages déstabilisants subtilement
par un reflet ou le mouvement d'un drapé. Question de ne pas
lasser le commun des mortels, le scénario donne à John
Cusack un magnétophone à qui s'adresser pour le reste
de la durée du film ; un équivalent commode mais un peu
facile au Wilson du correct Cast Away. Cusack se débrouille
d'ailleurs merveilleusement bien et réussit à porter le
film en entier sur ses sympathiques épaules en jouant dans le
ton voulu de désillusion glissant vers la panique. Le véritable
problème se situe au niveau d'un scénario au développement
poussif et assez peu subtil pour en arriver à inspirer le rire
(spécialement au moment de l'« illumination » vécue
par le personnage). Cette maladresse est reflétée dans
l'avalanche d'effets spéciaux tout à fait inappropriés
en arrivant à prendre le dessus sur le suspense déjà
vu mais plutôt bien soutenu précédant la mi du film.
En somme, 1408 réussit parfaitement à trébucher
dans ses lacets sans grâce particulière.
Le film d'une durée facilement assimilable d'une heure et demie
se termine sur un «punch» ridicule et complètement
gratuit, mettant fin à une séquence de mélange
des niveaux de réalité aussi confuse qu'interminable (en
plus, bien sûr, d'être sans intérêt). Tout
comme le divisif Silent Hill de 2006 (son concept rappelant
d'ailleurs le quatrième de la série de jeux vidéo),
1408 s'appuie sur des pistes psychologiques et narratives insuffisantes
en nombre et trop peu pertinentes pour justifier d'abondantes dérivations
mentales d'un type que des cinéastes comme Lynch et Cronenberg,
dont il s'inspire manifestement, arpentent avec bien plus de succès.
C'est un Shining pour les nuls, une expérience cérébrale
vide et tapageuse, trafiquant le concept du huis clos au point de ne
consacrer que quinze ou vingt minutes à une véritable
confrontation angoissante et dépouillée de son lieu. Les
commentaires des spectateurs déçus s'entendent généralement
sur l'idée que cette adaptation d'un texte de Stephen King aurait
sans doute pu faire un excellent court métrage, mais nous nous
retrouvons avec une énième exploitation du nom du dit
auteur dans l'intérêt des producteurs hollywoodiens. Un
film en tout point négligeable... qui fera sans aucun doute un
tabac d'enfer à sa sortie vidéo, occupant une autre heure
et demie de millions de consommateurs peu exigeants qui auraient tellement
mieux à se mettre sous la dent.
Version française : 1408
Scénario : Matt Greenberg, Scott Alexander, Larry Karaszewski
Distribution : John Cusack, Mary McCormack, Samuel L. Jackson,
Tony Shalhoub
Durée : 94 minutes
Origine : États-Unis
Publiée le : 3 Septembre 2007
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