13 TZAMETI (2005)
Géla Babluani
Par Alexandre Fontaine Rousseau
Les images ne font pas le film, mais elles constituent malgré
tout une partie majeure de l'expérience cinématographique;
combien de fois a-t-on vu un film moyen obtenir l'approbation de la
critique et l'appui du public alors qu'il ne s'agissait en fin de compte
que d'une belle enveloppe vide? L'image plaisante nous amadoue et déjoue
nos mécanismes critiques. Sa qualité plastique captivante
nous force l'instant d'un visionnement à revoir nos priorités.
L'esthétique reprend le dessus sur le jugement éclairé
et voilà que l'on se prend à admirer un objet sans aucune
portée à long terme: « j'ai déjà aimé
ça? », s'exclame-t-on sans trop y croire à la deuxième
écoute.
Dans un premier temps, 13 Tzameti semble verser dangereusement
dans cette voie sans profondeur. Sa splendide photographie scope en
noir et blanc survole de manière fluide une torturée demeure
ancestrale de bord de mer dont les vieux toits décrépits
et l'architecture désuète ensorcellent les sens. Ses personnages
pittoresques s'animent sous les traits d'acteurs armés de gueules
d'atmosphère à tout casser. Mais quelque chose cloche
dans ce beau portrait bien léché. Les dialogues sonnent
creux, les événements provoqués par les plus improbables
des coïncidences semblent étrangement artificiels et les
enjeux dramatiques réels demeurent nébuleux. Bref, l'inquiétude
est plus cinématographique que viscérale.
Le jeune Sébastien croit avoir de la chance lorsqu'un truand
gavé aux narcotiques l'engage pour réparer la toiture
pourrie de sa vieille villa. En fait, il vient de s'embarquer dans une
histoire qui dépasse le simple contrat de rénovations.
Son employeur crève et, subitement, Sébastien se retrouve
sans un sou pour supporter sa famille; il découvre dans une enveloppe
un billet de train ainsi que l'adresse d'un hôtel à Paris.
Se substituant au défunt, il part à sa place sans trop
savoir ce que lui réserve la suite des choses. D'étranges
instructions le trimbalent dans toutes les directions, son errance devenant
en quelque sorte symptomatique d'une intrigue qui, dans un premier temps,
semble tourner en rond tout en faisant du surplace. Puis, soudainement,
le film de Gela Babluani se transforme en huis-clos étouffant.
La tension devient insoutenable au fur et à mesure que se scellent
les issues. Sébastien est prisonnier d'un monde interlope où
les riches parient sur la survie des pauvres.
D'emblée, 13 Tzameti se distingue par la rigueur presque
académique au gré de laquelle il s'efforce de respecter
les codes d'un genre donné, le film noir. Sans contredit, le
film de Géla Babluani est un exercice de style; au profit d'une
lettre d'amour en hommage au cinéma classique, la forme triomphe
ici sur le fond. On dénote bien quelques clins d'oeil au minimalisme
de Wenders et Jarmusch dans la première partie du film. Néanmoins,
les personnages tiennent plus de l'archétype que de l'individu
à proprement parler et le montage de l'intense seconde moitié
doit une fière chandelle au maître Alfred Hitchcock. C'est
dans cette sombre allégorie de l'humanité que le film
puise son sens; au-delà du style impeccable, 13 Tzameti
se veut une oeuvre sur la fatalité. Son discours s'avère
simpliste et quelque peu conventionnel: l'homme est un loup pour l'homme,
le hasard joue une place prépondérante dans nos vies.
Par ailleurs, c'est dans cette substance que devra puiser le jeune réalisateur
français s'il aspire un jour à s'imposer à titre
d'auteur. Pour l'instant, il singe habilement un genre et démontre
une belle maîtrise technique pour livrer ce qui s'avère,
en fin de compte, un divertissement intense mais malgré tout
de courte durée. Sans tenir de la véritable révélation,
cette première oeuvre primée à Venise et Sundance
s'impose comme une belle carte de visite pour un réalisateur
prometteur. Avec un scénario s'émancipant un peu plus
vertement de l'affection des conventions, Géla Babluani pourrait
signer une oeuvre véritablement marquante. En attendant, il se
contente de nous livrer un spectacle visuellement léché
et franchement intéressant mais vaguement anachronique dont on
a vite fait le tour.
Version française : -
Scénario :
Géla Babluani
Distribution :
George Babluani, Pascal Bongard, Aurélien
Recoing, Fred Ulysse
Durée :
86 minutes
Origine :
France
Publiée le :
26 Octobre 2006