12 MONKEYS (1995)
Terry Gilliam
Par Frédéric Rochefort-Allie
En 1997, l'humanité se verra décimée par un virus
mortel, soyez en avertis. Aussi ridicule que puisse paraitre cet anachronisme
flagrant, le sujet du film est on ne peu plus d'actualité, alors
que de nombreux pays vivent, suite au 11 septembre 2001, dans la crainte
de l'anthrax. Il n'y a pas si longtemps, même la ville de Montréal
affirmait qu'elle était fin prête à affronter le
virus. Bref, ce remake du court-métrage La Jetée
de Chris Marker, si longtemps critiqué comme étant d'une
inutilité profonde, ne l'est peut-être pas autant qu'on
l'estime.
James Cole (Bruce Willis) se voit charger d'une mission, sauver l'humanité
d'un fléau. Pour ce faire il voyagera dans le passé pour
trouver la mystérieuse armée des 12 singes.
Fou, paranoïaque, marginal, visionnaire...sont-ce là les
caractéristiques du personnage James Cole ou du réalisateur
Terry Gilliam? Peut-être un peu des deux. Terry Gilliam, dans
l'ensemble de sa filmographie, s'est toujours vu aborder les mêmes
thèmes, soit la position du marginal dans une société
dépérissante et désillusionnée. 12 Monkeys,
bien que dans cette même lignée, se voit être le
second film commercial du réalisateur. Suite à un combat
titanesque avec Universal pour défendre sa liberté d'expression
avec Brazil, Gilliam revient d'une logique plutôt contradictoire
avec le studio pour 12 Monkeys et ce retour marquera un peu
l'attitude adoptée par sa réalisation. Premièrement,
oubliez l'ironie du réalisateur. Les messages sociaux font pâles
figure devant des films comme Brazil ou Fear & Loathing
in Las Vegas. Deuxièmement, n'oublions que par le passé,
Gilliam nous avait habitué à des univers tous aussi délirants
les uns que les autres avec ses collaborations hallucinantes à
l'univers des Monty Phytons et sa concrétisation plutôt
fidèle à l'univers des drogues, pour ne nommer que quelques
aspects de son génie. Cependant, malgré que 12 Monkeys
soit très intéressant par le look froid, délabré
et rétrograde du futur qu'il nous propose, le résultat
n'est qu'une version adoucie de la splendeur de l'univers orwellien
de Brazil. Quelques scènes sont même du pur recyclage
d'idées, d'ébauches du scénario du chef-d'oeuvre
du cinéaste. Le mot décevant serait donc fortement approprié
envers l'originalité que nous apporte ce remake. Dans le même
ordre d'idées, mais cette fois plutôt réussit, Gilliam
reprend quelques scènes clés de La Jetée
pour les adapter à sa façon, mission plutôt ardue
dont il s'en tire indemne, heureusement. Bien que commercialisé
et adoucit, le génie de Gilliam s'expose tout de même entre
autre sur la réalisation, qui ne manque pas de faire valoir une
forme de clostrophobie.
12 Monkeys est peut-être une histoire de voyage temporel,
mais son histoire trouve toute sa signification dans notre présent.
Si La Jetée se rapprochait plus du contexte de la Guerre
Froide, le film de Terry Gilliam, lui, est certainement un précurseur
du 11 septembre. Tout les éléments du scénario
sont près de notre réalité actuelle: la phobie
des terroristes, les armes bactériologiques, la désinformation.
Le personnage principal se fait aussi une forme de psychanalyse, différenciant
avec difficulté la marge entre réalité et fiction,
folie et sanité, thèmes qui seront hyper commercialisés
seulement quelques années plus tard. Le fait que le spectateur
doit s'identifier à ce personnage pousse plusieurs réflexions
au niveau du message que veulent nous envoyer les scénaristes.
Les scénaristes se permettent aussi de développer leurs
personnages à un niveau que n'atteignait pas le film de Chris
Marker. Sans être nécessairement mieux, le film apporte
sans aucun doute un peu plus de chair autour de la moelle du court-métrage
français, ce qui n'est pas sans déplaire.
La véritable surprise de ce film, qui arrive à le distinguer
à un niveau supérieur des autres remakes, est sans aucun
doute les performances que nous offre deux acteurs dans des rôles
à contre-emploi. L'un nous avait habitué au moule du héros
hollywoodien et l'autre à dévoiler son corps aux femmes
en étant mannequin. Bruce Willis, qu'on croyait incapable ou
presque de jouer autres rôles que des durs, incarne avec James
Cole un homme impuissant, atteint par une réalité qui
dépasse les limites de sa rationalité. C'est donc un tout
nouvel acteur qui se présente à nous, et la différence
au niveau du ton est plutôt agréable. Le jeu de James Cole
n'est pas sans rappeler la fameuse scène de Die Hard
où Bruce Willis téléphone à son épouse
tout en soignant ses blessures. Tout comme dans ce film, l'interprétation
de Bruce Willis penche vers une vulnérabilité réaliste
et une certaine forme d'héroïsme dissimulé sous une
faiblesse avouée. Donc, les combinaisons gagnantes pour rendre
son personnage humain dans un monde qui ne l'est pas. N'oublions pas
tout de même qu'il n'est pas le seul à démontrer
un talent inespéré. Bien qu'ayant été le
préféré de ces dames, Brad Pitt n'a pas comme seul
mérite d'avoir conquit un fort pourcentage de la gente féminine.
C'est d'abord un acteur accompli. Pour tout ceux qui en doutent, 12
Monkeys est une preuve quasi irréfutable que l'homme derrière
les pubs adulées par les femmes sait jouer. Chaque geste, chaque
tic de son personnage est calculé en fonction de l'aspect psychologique
plutôt particulier du personnage. En fait, rarement aura-t-il
été aussi fort dans l'ensemble de sa carrière.
L'ensemble du casting surprend par sa puissance inusitée.
Finalement, on pourrais en conclure que cinéma commercial et
Terry Gilliam ne font pas bon ménage et affirmer qu'il s'agit
ici de l'un de ses pires films. Est-ce que cela signifie que 12
Monkeys est atroce? Non. Un film décevant pour les grands
adeptes du réalisateur mais qui pourrais servir d'initiation
idéale au style plutôt sombre du réalisateur. On
y trouve de bons messages sociaux, bien que peu originaux, et une intrigue
sur la quatrième dimension plutôt rafraichissante. Pour
certains, le film semblera marginal. Pour reprendre les mots même
d'un personnage du film: «La folie c'est la loi de la majorité».
Citation qui colle parfaitement à la situation du film et de
son créateur.
Version française :
12 Singes
Scénario :
David Webb Peoples, Chris Marker (film La Jetée)
Distribution :
Bruce Willis, Brad Pitt, Madeleine Stowe, Christopher
Plummer
Durée :
129 minutes
Origine :
États-Unis
Publiée le :
23 Septembre 2004