ENTREVUE AVEC MYRIAM VERREAULT
Mardi 15 Septembre 2009
Par Laurence H. Collin
C'est à l'automne 2008 que le public québécois
aura d'abord pu être sous l'emprise du magnétisme d'À
l'ouest de Pluton. Première réalisation de Myriam
Verreault et Henry Bernadet, l'oeuvre illustre avec poésie et
franchise une tranche de vie de vingt-quatre heures chez plusieurs groupes
d'adolescents vivant en banlieue québécoise. Il n'aura
pas fallu longtemps pour que le projet s'établisse comme véritable
coup de coeur cinématographique chez un public s'étalant
de l'âge des personnages centraux du récit jusqu'aux cinéphiles
plus âgés. Pendant la dernière année et encore
à ce jour, À l'ouest de Pluton a parcouru une
multitude de circuits festivaliers, récoltant honneurs ici et
là comme peut en témoigner sa plus récente distinction,
soit la Mention Spéciale du Jury dans la catégorie North
American Independant au Festroia de Setùbal au
Portugal. Panorama-cinéma a eu la chance d'obtenir un "oui"
lorsqu'une entrevue fut proposée à la co-réalisatrice,
co-scénariste, co-productrice et monteuse de l'oeuvre, Myriam
Verreault.
Panorama : D’après vous, qu’est-ce
qui a engendré le succès remarquable de À l’ouest
de Pluton dans une aussi importante série de festivals internationaux?
Myriam Verreault : Il y a plusieurs raisons. Tout d'abord,
le fait d'avoir commencé notre circuit de festivals internationaux
à Rotterdam a beaucoup aidé à faire connaître
le film aux programmateurs de festivals du monde entier. Le Festival
de Rotterdam est le troisième plus gros festival de films en
Europe et récompense les premiers et deuxièmes longs-métrages
choisis dans le monde entier. Ils ont une importante équipe de
programmation et cette équipe visionne énormément
de films. Leur programmation est réputée pour être
de très bonne qualité. De plus, le Festival se tient au
tout début de l'année alors leur line up sert
beaucoup aux équipes de programmation d'un peu partout sur la
planète pour faire leur programmation de l'année qui vient.
Je crois que ce festival nous a donné un énorme coup de
pouce.
Les programmateurs de festivals que j'ai rencontrés sont de drôles
de bibittes. Ils sont très passionnés de cinéma
et à la fois très blasés. Ils visionnent tant de
films par années, les nouveautés de partout dans le monde
et ils reconnaissent assez rapidement les films qui s'inscrivent dans
une tendance ou une mode passagère. Ils cherchent pour la plupart
des films aux formes distinctives, nouvelles ou particulières,
mais évitent de programmer des films trop hermétiques.
Ils sont souvent pris entre leur goût personnel et le goût
du public qui fréquente leur festival. Je crois qu'À
l'ouest de Pluton, par son côté comédie, a
un côté assez populaire malgré l'expérimentation
sur la forme. Les programmateurs voient peut-être ça comme
un choix sûr. Les cinéphiles pures et dures auront de quoi
à se mettre sous la dent, et les cinéphiles du dimanche
aussi. Sans que l'ensemble sente le compromis entre les deux.
Le côté artisanal de la production crée une aura
de découverte aussi. Les programmateurs peuvent se targuer d'avoir
fouillé et trouver le petit film indie dont le public
n'a pas encore entendu parler dans leur pays.
Aussi, plusieurs types de festivals nous approchent. Nous sommes sélectionnés
dans des festivals à la programmation pointue (ex: Rotterdam,
Albacete), des festivals plus commerciaux (ex: Los Angeles, Munich)
et des festivals à thème "jeunesse" (ex: New
York, Copenhague). Le fait de se retrouver dans plusieurs niches aident
le film à voyager.
On ne peut pas non plus passer à côté du thème,
l'adolescence. C'est un thème que tous les peuples connaissent.
Ce sont des hypothèses...
Panorama : Comment avez-vous procédé
pour le casting des adolescents? Est-ce que les jeunes se connaissaient
entre eux avant le tournage?
Myriam Verreault : Les personnages principaux étaient
tous en 3e et 4e secondaire de la même petite école d'à
peine 800 étudiants lorsque nous les avons auditionnés.
Ils se connaissaient tous de vue, mais n'étaient pas nécessairement
des amis. Certains se connaissaient plus que d'autres. Nous les avons
choisis davantage pour leur personnalité que leur qualité
d'acteur. Le scénario était très embryonnaire lorsque
nous avons fait le casting. Nous avons choisi les acteurs qui nous inspiraient
le plus pour construire nos personnages, puisque ceux-ci ont véritablement
été créés à partir de la personnalité
de chaque comédien.
Panorama : Les jeunes d'À l’ouest
de Pluton font preuve d’une spontanéité désarmante
dans leurs échanges. Quelle a été votre approche
pour tirer des performances aussi convaincantes de leur part?
Myriam Verreault : Nous avons tenu des ateliers de
jeu avec les comédiens presque chaque semaine pendant six mois
avant le tournage. Nous avons appris à les connaître et
vice-versa. La caméra était présente pendant ces
ateliers où nous dirigions des improvisations ou des petites
scènes écrites. Ils se sont habitués à se
faire filmer. Il était essentiel qu'ils évacuent leur
timidité face à la caméra avant de commencer le
tournage. Les liens d'amitié que nous avons tissés avec
eux pendant cette période et aussi pendant le tournage a aidé
la complicité entre tous. Aussi, le fait de ne pas leur imposer
d'apprendre par coeur des textes aidait ceux-ci à avoir l'air
plus naturel. Certains étaient à l'aise avec le texte
d'autres non. Il y avait toujours un texte ou du moins un canevas très
clair. Mais une fois qu'ils l'avaient lu pour la première fois,
le jour même du tournage, nous leur demandions de retenir l'idée
du texte, mais de le dire dans leurs propres mots.
Ils se sentaient des fois assez à l'aise pour ajouter leurs propres
répliques, que parfois nous gardions et qui nous inspiraient
pour rediriger la scène vers quelque chose que nous n'avions
pas prévu à l'écriture. Le fait aussi d'avoir une
petite équipe de techniciens qui suivaient l'action (scénarisée)
de la même façon que sur un tournage de documentaire, donnait
davantage de souplesse aux comédiens. Nous essayions le plus
possible de ne pas leur donner l'impression d'être coincés
entre la perche, la marque au plancher et l'éclairage. Mais chaque
scène était différente et certaines se sont tournées
de manière plus classique aussi. Nous nous adaptions toujours
à ce que la scène exigeait, mais en ne faisant jamais
de compromis dans le jeu. Ils fallait absolument que ça sonne
juste. Les fois où nous n'avons pas réussi à les
faire sonner juste, car oui c'est arrivé, nous avons, avec beaucoup
de contorsion, éliminé les scènes ou ces répliques
au montage. Adopter ce style de jeu naturaliste n'est pas de tout repos,
car si nous laissons passer qu'une fausse note, l'ensemble en souffrira.
À L'OUEST DE PLUTON de Henry Bernadet et Myriam
Verreault
Panorama : Qu’est-ce qui vous a poussés
à opter pour la fiction avec une optique semblable au documentaire
plutôt que pour un documentaire, tout simplement?
Myriam Verreault : Cette question est complexe puisqu'elle
aborde des questions cruciales aux études cinématographiques,
soient: Qu'est-ce qu'un film documentaire? Qu'est-ce qu'un film de fiction?
Ces questions entretiennent toute une littérature depuis la naissance
du cinéma. Je n'aime pas le terme docu-fiction et je déteste
qu'on nous classe dans cette catégorie. Il y a toujours du documentaire
dans une fiction, et il y a toujours de la fiction dans du documentaire.
Où est la frontière? Parfois elle est plus marquée,
parfois elle est floue. Au départ, il était clair que
nous voulions faire un film de fiction. Le plaisir d'écrire des
dialogues et d'inventer une histoire pour ces personnages était
notre moteur. Bien que très attirée au départ par
des films naturalistes (ex: Loach, Groulx, Dardenne, etc), je dirais
que le style naturaliste s'est imposé de lui-même. Pour
bien faire passer cette fiction, il nous fallait ce style naturaliste.
Cette forme est imbriquée au style de jeu des comédiens.
Il n'y a rien de pire, je crois, qu'un comédien adolescent qui
sonne faux avec une réplique de scénariste adulte dans
la bouche. (J'ai en tête quelques téléséries
connues.) Nous avons au départ essayé d'écrire
des dialogues et de leur faire réciter par coeur, mais cette
idée n'a pas fait long feu. C'était horrible.
Pialat a déjà dit: «Je ne sais pas diriger les acteurs,
je les empêche seulement d'être mauvais.» J'aime beaucoup
cette phrase.
Le style naturaliste aussi s'imposait dans l'illustration de ces histoires
en apparences très banales. Nous ne filmions pas des espions
russes en train de commettre un kidnapping, mais des adolescents en
train de luncher dans des marches d'escalier. Nous avions la conviction
qu’il était possible de transcender cette apparente banalité
pour atteindre quelque chose de particulier. Nous étions persuadés
qu’en laissant à nos jeunes comédiens une grande
liberté, en les laissant s’exprimer sans corriger constamment
leur langage ou leurs propos nous allions obtenir des scènes
touchantes, poétiques et signifiantes qui dépassent l’anecdotique.
Mais nous étions loin du documentaire dans la manière
de penser et de réaliser ce film. Tout était dirigé.
Nous faisions énormément de prises et il y avait un "coupé!"
et un "action!" à chacune d'elles. Il n'y a rien dans
ce film qui est, comme en documentaire, croqué sur le vif (à
part peut-être le fameux chien...). Tout était organisé,
arrangé, inventé. N'est-ce pas ça la fiction? Nous
pourrions en parler longtemps, cette question suscite d'autres questions
et les réponses sont infinies.
Panorama : À votre avis, est-ce que vous croyez
que l’adolescence est un thème qui a suffisamment (et adroitement)
été exploité dans le cinéma québécois
jusqu’à présent?
Myriam Verreault : Il y aura toujours des histoires
à raconter sur des humains peu importe leur âge. La rareté
des personnages adolescents au cinéma par rapport aux personnages
adultes fait en sorte que lorsqu'on met en scène des personnages
principaux adolescents au grand écran on nous afflige d'une intention
particulière. On ne se demande jamais si "l'âge adulte"
a suffisamment été exploité dans le cinéma
jusqu'à maintenant. Comme si les ados étaient une sous-espèce;
il y a les films de zombies, les films d'ados, etc.
C'est seulement une période de la vie. Et qui est, avouons-le,
fascinante. C'est une période très riche en expériences
nouvelles, ce qui est très cinématographique. Un couple
qui fait l'amour, c'est commun. Un couple qui fait l'amour pour la première
fois, c'est un événement, c'est unique!
Nous n'avions pas du tout le goût de dire, voici l'adolescence.
C'était plutôt le goût de mettre en scène
des personnages que nous jugions très intéressants à
suivre. Ces personnages étaient des adolescents et il n'y avait
pas de "statement" dans le fait de choisir des adolescents
autre que, peut-être, celui de dire: pourquoi pas des adolescents?
Ils peuvent eux aussi être le véhicule d'histoires dignes
d'intérêt pour les spectateurs de tout âge. Ce que
les personnages vivent dans le film parle autant de l'humain en général
que de l'adolescence.
Certainement, lorsque nous avons débuter le projet, je trouvais
que notre cinéma national était bien pauvre en personnages
adolescents. Après l'ère Groulx/Jutras, les ados ont été
très négligés dans notre cinématographie.
Je crois que c'est bien que ça revienne et j'espère que
ce sera plus qu'une mode.
Panorama : Pensez-vous qu'À l’ouest
de Pluton miroitera la réalité des adolescents dans
les décennies à venir?
Myriam Verreault : Tout ce que je sais, c'est que les
thèmes liés à l'adolescence sont universels et
intemporels. Le reste, le temps se chargera de nous le dire.