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THE PRESTIGE (2006)
Christopher Nolan

Par Jean-François Vandeuren

Avec Insomnia et Batman Begins, Christopher Nolan entrait à Hollywood par la grande porte et indiquait clairement aux grands studios américains, en particulier à la Warner (qui distribua tous ses efforts post-Memento), que cette « promotion » n’affecterait en rien sa démarche artistique et narrative. S’il a déjà prouvé ses immenses talents de metteur en scène dans le domaine du film à suspense, sa rencontre avec l’homme chauve-souris semble lui avoir fait prendre goût à l’exploration de récits plus fantaisistes et d’univers visuels parsemés de lieux d’une noirceur des plus inquiétantes. Nolan nous transporte cette fois-ci dans les rues de Londres à la fin du XIXe siècle pour nous faire vivre la rivalité entre deux magiciens, Alfred (Christian Bale) et Robert (Hugh Jackman). Si la mort de la fiancée de ce dernier des suites d’un numéro qui échoua lamentablement ouvrit les hostilités, c’est un tour élaboré par Alfred qui deviendra par la suite le réel moteur de cet affrontement. Robert sera littéralement obsédé par ce stratagème qu’il recréera à sa manière sans réussir à expliquer les rudiments du tour original. Alfred serait-il capable de réaliser ce que tous les magiciens prétendent savoir faire : de la vraie magie?

Nous connaissions déjà la fascination des frères Nolan (Christopher à la réalisation et Jonathan à l’écriture) pour les structures dramatiques et narratives légèrement éclatées. C’est toutefois l’évolution de Christopher à titre de réalisateur qui retient l’attention cette fois-ci. Le cinéaste britannique poursuit sur sa lancée et fait progresser un style visuel qui, d’un film à l’autre, devient de plus en plus précis, sophistiqué, mais aussi particulièrement sombre. Nolan rend d’ailleurs palpable la noirceur dont il imprègne son récit, ses décors et certains recoins peu invitants de l’âme de ses protagonistes avec une force dramatique des plus admirables. La direction photo dénuée de toute couleur éclatante du collaborateur de longue date de Nolan Wally Pfister appuie parfaitement ce sentiment tout en imprégnant les élans les plus significatifs du metteur en scène de quelques teintes gothiques, menant au final à une série de séquences d’une beauté esthétique souvent époustouflante.

Le montage joue évidemment un rôle capital dans ce cinquième long-métrage de Christopher Nolan. Comme pour la première moitié de Batman Begins, celui-ci permet aux deux cinéastes de rendre leur récit beaucoup plus dynamique et d’appuyer une logique narrative directement liable aux thèmes forts de l’essai. Le scénario de The Prestige s’étale ainsi sur une ligne du temps divisée en trois parties que les frères Nolan entrechoquent à leur guise tout au long du film. À leur manière, les deux frangins se révèlent les réels prestidigitateurs de cette histoire en créant quelques tours de passe-passe narratifs particulièrement brillants. Basant leurs efforts sur les trois actes d’un tour de magie, le duo déjoue constamment les attentes du public avant d’arriver à un point tournant spectaculaire soulevant bon nombre de questions tout en préparant le terrain pour la suite des hostilités. Cette structure est répétée abondamment dans The Prestige, mais n’alourdit en rien le récit et place plutôt le spectateur dans une position l’amenant à se creuser continuellement la tête pour trouver la solution d’un numéro de prestidigitation des plus complexes. Les deux frères jouèrent également de finesse en faisant tourner les éléments fantastiques de leur scénario autour du développement technologique de l’époque et de ses expériences aussi révolutionnaires qu’improbables, notamment dans le domaine électrique, prenant principalement pour inspiration les recherches du scientifique d’origine serbe Nikolas Tesla (merveilleusement interprété par David Bowie).

La mise sur pied d’un casting aussi juste qu’imposant est d’ailleurs l’une des plus grandes forces du cinéma de Christopher Nolan. De Batman Begins reviennent les toujours impeccables Christian Bale et Michael Caine, auxquels s’ajoutent un Hugh Jackman qui aura finalement eu la chance de briller dans quelques rôles d’envergure au cours de l’année 2006, une Scarlett Johansson dans l’une de ses bonnes performances, et le toujours sympathique Andy Serkis. Malgré un rôle assez minime, c’est toutefois la retenue phénoménale du jeu de David Bowie qui retient particulièrement l’attention. Nolan démontra déjà dans le passé sa grande habileté à confiner des figures artistiques beaucoup plus excentriques d’ordinaire à l’intérieur d’une mise en situation plus terre à terre sans que leur interprétation ne perde une once d’intensité. Le meilleur exemple à cet effet demeure évidemment la nuance extraordinaire qu’il retira du superbe duo formé de Robin Williams et Al Pacino dans son remake somme toute satisfaisant de l’excellent Insomnia du Norvégien Erik Skjoldbjaerg.

Si Memento propulsa la carrière de Christopher Nolan, c’est son arrivée à Hollywood qui lui permit d’atteindre le statue de cinéaste culte en devenir. Chose que ce genre de transition n’occasionne que très rarement. Il faut dire que la Warner eut la décence de mettre à la disposition de ce dernier la marge de manœuvre et le budget nécessaires à la réalisation de projets ambitieux qui ne déçurent aucunement jusqu’à présent, autant commercialement qu’artistiquement. Avec The Prestige, Nolan prouve une fois de plus que le génie de son second opus ne serait pas un sommet inatteignable pour le reste de sa carrière. Le cinéaste d’origine britannique peut désormais être considéré comme l’une des figures les plus importantes du cinéma de divertissement haut de gamme actuel grâce à sa signature sombre, rigoureuse et extrêmement sérieuse qui sait capter (et surtout conserver) l’attention du spectateur en le surprenant constamment dans le détour par des stratagèmes visuels et narratifs qui ne paraissent jamais forcés ou simplement stylistiques. Tout comme le magistral Batman Begins, The Prestige se veut une œuvre de marque dont le raffinement et l‘intelligence n’ont d’égal que sa grande accessibilité.




Version française : Le Prestige
Scénario : Jonathan Nolan, Christopher Nolan, Christopher Priest (roman)
Distribution : Hugh Jackman, Christian Bale, Michael Caine, Scarlett Johansson
Durée : 128 minutes
Origine : États-Unis, Royaume-Uni

Publiée le : 25 Novembre 2006