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PARANOID PARK (2007)
Gus Van Sant

Par Jean-François Vandeuren

Avec Elephant, Gus Van Sant proposait un portrait juste et particulièrement troublant d'un groupe d'adolescents dont chaque pas vers l’âge adulte semblait curieusement les en éloigner davantage. À l’opposée d’un Larry Clark, dont la démarche explicite ne semble parfois avoir pour objectif que la simple provocation, le cinéaste américain parvint à cerner l’essence du quotidien et de l’instabilité émotionnelle aussi dévastatrice que fascinante d’une jeunesse vivant encore trop souvent dans l’ombre de ses propres stéréotypes grâce à une approche certes froide et extrêmement directe, mais également empreinte de délicatesse. Poursuivant sur sa lancée, le réalisateur nous introduit cette fois-ci au cas d’Alex (Gabe Nevins), un adolescent de seize ans tout ce qu’il y a de plus ordinaire qui commettra malgré lui l’irréparable. En cherchant à faire sa place parmi « la population » d’un célèbre skatepark de Portland, Alex rencontrera un habitué de l’endroit qui lui proposera de l’accompagner pour une courte virée sur les chemins de fer avoisinants. Agrippés aux flancs d’un train de marchandises qui passait justement par là, les deux individus en quête d’émotions fortes seront surpris par un gardien de sécurité qui tentera aussitôt de les faire descendre de l’appareil. En voulant se défendre, Alex poussera accidentellement l’homme sur les railles quelques secondes avant le passage d’un autre convoi. Les événements demeureront toutefois très flous dans la tête du jeune homme qui finira par se mentir à lui-même pour ne pas avoir à faire face à la vérité.

Paranoid Park poursuit en soi la profonde réflexion sur la mort que le cinéaste américain avait entamée avec Gerry, Elephant et Last Days tout en portant un regard vif et authentique sur l’une des périodes les plus troubles de l’existence humaine. Mais si les trois derniers opus de Gus Van Sant cheminaient tous vers une inévitable tragédie tels de puissants crescendos que l’on aurait volontairement dépouillés de toute forme d’intensité dramatique, le présent effort débute pour sa part quelques jours après les funestes événements dont il fait état. Le réalisateur nous laisse ainsi déambuler à travers les pensées et les souvenirs on ne peut plus désordonnés de son personnage principal avant de nous emprisonner avec lui à l’intérieur d’une bulle émotionnelle qui deviendra évidemment de plus en plus étroite et asphyxiante. D’abord rongé par le doute, puis par le remord, Alex aura de plus en plus de difficulté à s’épanouir au coeur de son propre univers et à composer avec les nombreux changements auxquels un adolescent de son âge est normalement confronté. Van Sant joue d’ailleurs de finesse à ce niveau en comparant subtilement la situation de son protagoniste à celle des soldats américains actuellement postés en Irak. Ainsi, tout comme ces jeunes combattants à peine plus âgés que lui, Alex devra faire face à des incidents aussi bouleversants qu’involontaires dont l’absence d’issus lui laissera de profondes cicatrices psychologiques avec lesquelles il devra visiblement vivre pour le restant de ses jours.

Si la structure narrative de Paranoid Park n’est évidemment pas sans rappeler celle du formidable Elephant, Gus Van Sant justifie un tel travail de déconstruction cette fois-ci par le biais de son protagoniste et de la longue lettre qu’il rédige tout au long du récit. Plutôt que de revenir sur les événements de façon chronologique, ce dernier décrit ceux-ci à mesure qu’ils lui reviennent en tête, recollant progressivement chaque morceau du casse-tête en retournant toujours un peu plus loin en arrière et en réexaminant certaines séquences clés sous un angle différent. Van Sant est également épaulé cette fois-ci par l’incomparable direction photo de Christopher Doyle, qui abandonna le style plus flamboyant ayant caractérisé ses diverses collaborations avec Wong Kar Wai pour plonger le présent effort dans une grisaille ambiante qui n’aurait pu mieux appuyer ce ton pesant et cette rythmique lente et hypnotique dont seul le réalisateur américain semble connaître le secret. Ce dernier s’en donna également à coeur joie sur le plan musical en concoctant la trame sonore de son film à partir de registres qui ne prêtaient pas nécessairement au jeu sur papier, mais qui ajoutent en pratique une résonance des plus particulières à l’ensemble. Ainsi, si les quelques compositions provenant du répertoire du défunt Elliott Smith collent parfaitement à l’atmosphère morose et paralysante de l’effort, les pièces tirées des bandes originales des films Juliet of the Spirits et Amarcord de Federico Fellini rehaussent le tout d’une superbe touche de poésie et de surréalisme sans jamais sortir le film de son contexte originel.

Si la démarche visuelle et narrative mise sur pied par Gus Van Sant au cours des six dernières années demeure sensiblement la même dans Paranoid Park, on ne peut toutefois pas accuser le cinéaste américain de s’être assis sur ses lauriers. Ce dernier poursuit simplement ce qu’il avait entrepris précédemment en illustrant une situation donnée en restant le plus fidèle possible à la réalité tout en réussissant à rendre cette facture somme toute assez terre-à-terre surprenante et hautement captivante. Pour donner vie à son univers filmique, Van Sant s’entoura à nouveau de non-professionnels plutôt que de comédiens expérimentés (et souvent trop âgés) afin de conférer une allure plus singulière et naturelle à ses élans. Le cinéaste américain parvint également à rendre sa signature artistique beaucoup plus accessible cette fois-ci en se rapprochant davantage de ses personnages, en particulier d’Alex, auquel il réserva un traitement extrêmement empathique et dénué de tout jugement, et ce du début à la fin. Ce dernier est d’ailleurs superbement interprété par le jeune Gabe Nevins qui, comme la quasi-totalité des acteurs du film, fut découvert par l’entremise du site internet Myspace. Gus Van Sant nous confronte en bout de ligne à une autre perte brutale de l’innocence, résultat dans ce cas-ci d’une incursion prématurée dans la cours des grands qui s’avérera particulièrement lourde de conséquences pour le principal concerné. « You’re never ready for Paranoid Park », lancera Alex à un certain moment à l’un de ses comparses. Il n’aurait jamais cru si bien dire.




Version française : Paranoid Park
Scénario : Gus Van Sant, Blake Nelson (roman)
Distribution : Gabe Nevins, Daniel Liu, Taylor Momsen, Jake Miller
Durée : 85 minutes
Origine : États-Unis

Publiée le : 5 Mai 2008