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LA FACE CACHÉE DE LA LUNE (2003)
Robert Lepage

Par Alexandre Fontaine Rousseau

Le passage de la scène au grand écran n'est pas exempt de risques. En adaptant cinématographiquement sa remarquable Face cachée de la lune, Robert Lepage avait non seulement l'occasion de l'immortaliser sur pellicule mais aussi celle de la réinventer, ou du moins de l'étudier sous un nouvel angle. Il restait à savoir si cette nouvelle version de sa pièce serait du calibre de l'oeuvre originale, ce qui n'est malheureusement pas le cas. Malgré tout, La Face cachée de la lune réussit à intéresser tout en se distanciant assez de la pièce pour être considérée une oeuvre à part. À partir d'une mise en scène originale et en soi très cinématographique, Lepage a créer un film moderne et intelligent duquel il se dégage toutefois une certaine froideur qui éloigne le spectateur des personnages.

Tourné entièrement en numérique haute définition, La Face cachée de la lune n'arrive jamais à faire oublier le côté légèrement artificiel de ses images, travaillées avec une précision tout de même remarquable. La photographie de Ronald Plante, malgré ses qualités techniques indéniables, souffre d'une finition plastique qui crée un mur que Lepage n'arrive jamais à briser totalement. Pourtant, sa réalisation poétique et flottante est dans le ton juste. Le seul défaut de celle-ci est peut-être d'avoir conservé la théâtralité de certaines scènes et d'avoir lié le tout par des transitions stylisées et très cinématographiques. Ces différents morceaux ne s'emboitent pas toujours harmonieusement. Cela étant dit, La Face caché de la lune demeure un bon film qui s'inscrit dans cette vague de renouveau du cinéma québécois amorcée récemment, une mouvance qui, espérons-le, n'a pas mis son dernier rejeton au monde.

Philippe (Robert Lepage) tente tant bien que mal d'obtenir un doctorat grâce à une thèse qui explique l'influence du narcissisme dans le développement des programmes spatiaux russes et américains. Sa mère vient de mourir, une perte qui l'amène à vouloir se rapprocher de son frère (Lepage une fois de plus), un météorologue carriériste et superficiel qui est son exact opposé au point de vue moral et intellectuel. Parallèlement à ce deuil, Philippe commence à tourner un vidéo amateur pour S.E.T.I. dans l'espoir que son message soit diffusé dans l'espace. Ce sont ces moments qui fonctionnent d'ailleurs le mieux dans cette adaptation, en particulier celui où Philippe recrée notre système solaire grâce à une orange et quelques roches pour sa caméra.

Dans quelques instants privilégiés, Lepage réussit à imprégner son film de la même magie envoutante que dégageait sa pièce. Dans une très belle scène, la caméra sépare deux époques avec un simple écran de télévision en avant-plan, passant d'un Philippe jeune jouissant d'un moment de bonheur avec sa mère au même homme, plus vieux, partageant son ennui avec la même femme ravagée par les années. Bercé entre les deux scènes par les mots d'un poème de Nelligan, le spectateur comprend dans ce moment précis toute l'amertume du personnage de Philippe. Il n'en demeure pas moins que derrière des dialogues souvent remarquables et une réalisation visuellement inspirée, La Face cachée de la lune trahit parfois une certaine difficulté à toucher le spectateur, victime d'une certaine distance dont ne souffrait pas la pièce.

C'est donc de cette comparaison défavorable que souffre principalement le nouveau film de Robert Lepage. Autrement, il demeure une oeuvre intelligente, à la fois drôle et sensible, qui n'hésite pas à jouer avec l'espace et célèbre la place primordiale de l'imagination tant dans le quotidien que dans les projets de grande envergure de la race humaine. Ne serait-ce que parce qu'il permettra à plusieurs qui n'avaient pas vu la pièce d'entrer en contact avec la création de Lepage, La Face cachée de la lune valait la peine d'être filmé. Mais ce n'est que dans certains passages particulièrement inspirés que le film fonctionne à plein régime, qu'il est pleinement digne de l'oeuvre originale de Lepage.




Version française : -
Scénario : Robert Lepage
Distribution : Robert Lepage, Céline Bonnier, Anne-Marie Cadieux
Durée : 105 minutes
Origine : Québec

Publiée le : 22 Octobre 2004