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3-IRON (2004)
Kim Ki-duk

Par Jean-François Vandeuren

Même si il est parfois difficile de prendre un peu de recul face à notre quotidien, les temps demeurent néanmoins propices à une sérieuse remise en question de notre mode de vie. Alors que l’importance accordée aux objets et à la création d’un confort matériel gravitant autour de quelques pièces aménagées en fonction de nos goûts et de notre humeur tend souvent vers la démesure, il n’est pas surprenant que cette sédentarisation excessive puisse parfois devenir étouffante, voire carrément limitative dans notre cheminement en tant qu’individu. Mais il faut bien reconnaître que cette option comporte malgré tout sa part d’avantages. Nous invitant à la rencontre d’un personnage ayant choisi pour sa part la vie de nomade, Kim Ki-duk ne nous propose pas ici un moyen de fuir cette nouvelle réalité, mais plutôt une façon inusitée d’y trouver l’harmonie.

Tae-suk (Lee Hyun-kyoon) tente ainsi de se rendre utile à sa manière en remettant un peu d’ordre dans la demeure de ceux à qui il emprunte le confort le temps de se reposer, de prendre une douche et de manger un peu. En échange de leur hospitalité forcée, ce dernier se charge de leur lessive et de réparer les objets brisés. Car il faut bien admettre que ces locataires absents sont des plus indispensables à la continuité de cette routine improvisée. Mais en cours de route, Tae-suk s’infiltrera à l’intérieur d’une demeure qui n’aura pas été totalement laissée à elle-même. Ce dernier tombera alors sur une femme battue qu’il prendra sous son aile afin de lui faire goûter à son mode de vie.

S’il envoûta son puissant Spring, Summer, Fall, Winter… and Spring d’une accalmie tout simplement désarmante, laquelle servait admirablement son propos sur la recherche de la paix intérieure et la réincarnation, Kim Ki-duk renoue ici avec cette facette de son cinéma privilégiant une approche faite de peu de mots, mais pourvue d’une élégance des plus fascinantes qu’il intègre parfaitement à la routine fantomatique mise sur pied par ses deux principaux personnages. 3-Iron se veut du coup un film à moitié muet dans lequel les paroles sont plus souvent qu’autrement synonymes de non-sens, de jugements hâtifs et de fausses promesses. Le son n’est d’ailleurs composé ici que de bruits ambiants et des élans oraux des personnages secondaires auxquels les principaux intéressés ne donnent jamais la réplique. Ces derniers forment ainsi un tandem n’ayant aucunement besoin d’encombrer leur relation de ce genre de bavardages futiles, préférant à l’opposée communiquer par le biais d’actions concrètes, et surtout significatives.

Si le discours tenu par Kim Ki-duk affiche en soi un parti pris qui n’aurait pu être plus mis en évidence, le réalisateur sud-coréen laisse néanmoins transparaître un signe de respect plutôt limité pour cette forme de sédentarisation engourdissant l’humanité depuis beaucoup trop longtemps. Ainsi, une seule des demeures visitées par le duo, laquelle sera d’autant plus dominée par la nature, n’aura pas été discrètement rongée par l’insécurité, la lassitude, la violence ou la maladie. Fort heureusement le cinéaste transporte également son opus vers de nouvelles avenues afin de ne pas affliger celui-ci de la redondance qui aurait pu lui être fatale. Le présent effort suit du coup une logique narrative appuyant avec tact la forte teneur symbolique du scénario de Kim Ki-duk, en particulier l’évolution marquée dans la façon dont son personnage principal fera progresser son désir de ne devenir qu’une sorte de présence spectrale rassurante ou intimidante, dépendamment de qui la ressent.

Ce qui est intéressant également avec 3-Iron est que Kim Ki-duk ne nous présente jamais Tae-suk comme un être se croyant complètement en marge de la société, même si celle-ci ne lui rend aucunement tout le respect qu’il lui présente jour après jour. À l’image de ses écrits, la mise en scène de Kim Ki-duk s’avère aussi lucide qu’évasive. Le cinéaste nous servira d’ailleurs certains de ses plus beaux élans sur pellicule en toute fin de parcours lorsque sa caméra épousera de plus en plus les mouvements spectraux de son protagoniste, rendant à tout coup ses images vibrantes de sa présence même si ce dernier cherchera toujours à s’en dissocier un peu plus. Lee Hyun-kyoon et sa complice Seun-yeon Lee se révèlent pour leurs parts brillants dans la peau de deux personnages qui n’ont pas dû être évidents à interpréter, en particulier à une époque où le cinéma ne passe bien souvent que par les dialogues pour exprimer ses idées et ses émotions. 3-Iron forme en définitive l’une des plus belles pièces de l’univers plus serein de Kim Ki-duk. Et même si son opposée possède autant de mérite à bien des égards, le cinéaste démontre malgré tout que la mise en évidence de ces valeurs auxquelles nous accordons de moins en moins d’importance ne doit pas forcément être brutale pour qu’elle puisse susciter une vive réaction chez le spectateur.




Version française : Locataires
Version originale : Bin-jip
Scénario : Kim Ki-duk
Distribution : Lee Seung-yeon, Lee Hyun-kyoon, Kwon Hyuk-ho, Ju Jin-mo
Durée : 88 minutes
Origine : Corée du Sud

Publiée le : 5 Juin 2005