2:37 (2006)
Murali K. Thalluri
Par Jean-François Vandeuren
La ligne est parfois très mince entre l’hommage et le plagiat
pur et dur. Le premier long-métrage de Murali K. Thalluri est
l’un de ces films nous laissant cette étrange impression
de déjà-vu alors que la signature visuelle qui lui est
rattachée semble être celle d’un tout autre réalisateur.
Ainsi, non seulement le nouveau venu recréé-t-il avec
exactitude la démarche artistique du sublime Elephant
de Gus Van Sant, mais en plus, la quasi-totalité de son 2:37
se déroule à l'intérieur d’une école
secondaire au cours d’une journée tout ce qu’il y
a de plus banale, mais pourtant destinée à prendre fin
sur une note particulièrement tragique. Si le présent
effort ne se dissocie jamais complètement de ses nombreuses ressemblances
techniques avec le film de Van Sant, l’essence des écrits
de Thalluri sauve fort heureusement la mise, et ce, autant au niveau
de la forme que du fond. Sans être une oeuvre aussi puissante
que le deuxième chapitre de la trilogie sur la mort du cinéaste
américain, 2:37 propose malgré tout un condensé
percutant de plusieurs maux propres à l’adolescence que
Murali K. Thalluri aborde d’une manière déchirante,
et surtout profondément humaine.
Nous sommes donc invités par une belle journée de printemps
à nous fondre à la masse étudiante d’un campus
australien. À 2:37 de l’après-midi, un étrange
bruit émanant des toilettes attirera l’attention des étudiants
aux alentours qui se demanderont évidemment ce qui a bien pu
se passer à l’intérieur de cette pièce dont
la porte tarde à être déverrouillée. D’autant
plus que du sang vient tout juste d’apparaître devant l’entrée
de la salle de bain en question. Le film revient alors quelques heures
en arrière afin de nous familiariser avec quelques-uns des étudiants
fréquentant l’établissement, dont le sportif et
sa copine prête à tout pour garder leur couple en vie,
l’étudiant modèle pour qui réussir n’est
jamais suffisant, sa soeur qui fut élevée dans l’ombre
de ses prouesses académiques, l’homosexuel rejeté
par ses pairs, et un nouvel arrivant souffrant de divers problèmes
de santé affectant grandement son intégration au sein
de l’institution. Le cinéaste australien ne s’en
tient toutefois pas qu’à ces simples archétypes
propres à n’importe quel film destiné à un
public adolescent et s’enlise littéralement dans l’âme
de ses protagonistes afin de nous partager leurs peines, leurs angoisses
et leurs craintes alors qu’un monde aux possibilités infinies
est sur le point de s’ouvrir à eux. La fin des classes
n’est plus qu’à quelques miles. Mais l’un d’entre
eux ne franchira vraisemblablement jamais la ligne d’arrivée.
Visuellement, Thalluri se réapproprie les innombrables prouesses
techniques et narratives d’Elephant
en entrecroisant les parcours de ses différents protagonistes
par le biais de longs plans-séquences impeccablement exécutés,
créant ainsi un cycle que le réalisateur perpétuera
en accordant toujours une importance marquée au traitement du
temps et de l’espace - deux éléments jouant évidemment
un rôle fondamental dans le présent effort. Tout comme
Gus Van Sant, le cinéaste australien agrémentera également
son récit de nombreux retours en arrière afin d’ajouter
une dimension supplémentaire à certaines séquences
- ou d’en modifier complètement la portée - tout
en permettant à ses nombreux chassés-croisés de
se fondre plus facilement en une trame narrative fonctionnelle et effective.
Mais contrairement aux élans du réalisateur américain,
la mise en scène de Thalluri est avant tout un moyen stylistique
d’arriver à une fin et non une source de discours en soi.
Le jeune cinéaste ne cherche donc pas à donner un sens
spécifique à ses images ou à recréer l’état
d’errance du film de Van Sant. À l'opposée, la réalisation
à la fois précise et extrêmement volatile de Thalluri
confère plutôt à sa caméra les attributs
d’un satellite gravitant discrètement autour de ses sujets
au rythme d’un savant mélange de morceaux de musique classique
et ambiante.
La façon dont Thalluri met en scène son récit n’a
toutefois rien à voir avec la froideur presque clinique que dégageait
l’effort de Gus Van Sant. S’il aborde en soi les mêmes
thèmes d’aliénation et de mort que son homologue
américain, le cinéaste australien effectue tout de même
un portrait beaucoup plus sensible et profond de ses protagonistes afin
de faire ressortir les multiples contradictions séparant le discours
tenu par ceux-ci et leur façon d’être et d’agir
en milieu social et fermé. Ainsi, chacun utilise comme il peut
le stéréotype auquel il est associé afin de se
protéger - ou du moins, de se désensibiliser - face à
tout jugement qui pourrait être porté à son endroit.
Thalluri cerne ainsi d’une manière fort adroite l’essence
d’une jeunesse combattant la désillusion en se jetant elle-même
de la poudre aux yeux afin de garder intacts autant ses idéaux
que son semblant d’identité. Le cinéaste dépeindra
d’ailleurs d’une manière on ne peut plus significative,
à défaut d’être très subtile, ce tiraillement
entre la véritable personnalité de ses personnages et
l’image qu’ils désirent projeter au reste du monde
lors d’entrevues filmées en noir et blanc au cours desquelles
Thalluri tentera de soutirer tout ce qu’il peut de ses sujets
en plaçant sa caméra à une distance particulièrement
intimidante de leur visage. Heureusement, le réalisateur ne s’en
tient pas seulement qu’à ce stratagème pour faire
transparaître la vraie nature de ses protagonistes et s’affère
plutôt à créer un parfait équilibre entre
l’information qu’il dévoile par le biais de sa trame
narrative et celle qu’il met en évidence durant ces courtes
confessions.
Comme le présent effort est inspiré du suicide d’une
amie très proche du réalisateur australien - qui tenta
lui-même de mettre fin à ses jours quelques mois après
l’incident -, il n’est pas étonnant de voir ce dernier
conférer un ton aussi personnel et empathique à ses élans.
On ne peut plus familier avec ce sujet des plus délicats, le
cinéaste souligne d’emblée que de tels actes ne
sont pas forcément le fruit de problèmes bien définis.
Thalluri joue d’ailleurs de finesse à ce niveau en accordant
énormément d’importance à des individus visiblement
sur le point de s’effondrer psychologiquement tout en ne donnant
aucun droit de parole à ceux pour qui tout semble aller pour
le mieux, déviant ainsi prodigieusement notre attention de là
où elle aurait pourtant dû être dirigée depuis
le début. Pour arriver à ses fins, le cinéaste
s’entoura également d’une distribution formée
de jeunes interprètes encore à leurs premiers balbutiements
qui ne faillirent pas à la tâche en proposant au final
un jeu d’ensemble d’un naturel confondant. 2:37
ne sombre ainsi aucunement dans la catégorie des vulgaires copies
carbones grâce à l’approche introspective de son
auteur, faisant de ce premier long-métrage un exercice tout à
fait valable face auquel la réception aurait été
assurément plus clémente si Murali K. Thalluri était
parvenu à s’exprimer à travers ses propres cordes
vocales.
Version française :
2:37
Scénario :
Murali K. Thalluri
Distribution :
Teresa Palmer, Joel Mackenzie, Frank Sweet, Charles
Baird
Durée :
91 minutes
Origine :
Australie
Publiée le :
29 Mai 2007