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Expendables, The (2010)
Sylvester Stallone

La perfection au masculin

Par Nicolas Krief
Depuis 2006, la carrière de Stallone vit un renouveau qui impose chez ses fans de la première heure, un grand respect. Respect peut-être dû à la nostalgie qu’évoquent ses deux derniers films : Rocky Balboa et Rambo. Tous deux portant le nom de leur personnage principal, tous deux mettant en vedette la star, qui occupe aussi le poste de réalisateur et de scénariste, ces opus offrent quelques heures mémorables à un public indulgent, encore une fois séduit par la douce aura de l’artiste. Après avoir déterré ses alter ego, Stallone poursuit à présent son parcours en réveillant ses collègues mâles. Une entreprise que seul l’étalon italien pouvait se permettre, puisque ses deux derniers longs métrages lui auront permis de regagner le coeur de ses plus vieux admirateurs (après le triste Driven). La prochaine étape paraissait ainsi évidente. Ce qui semblait être au début un mythe, une idée folle à laquelle personne ne croyait, est finalement devenu réalité, créant l’hystérie générale lorsque les premières images de Sly et Statham marchant virilement l’un à côté de l’autre parurent sur Internet. Comment ces hommes pouvaient-ils combler les immenses attentes? Grâce à une grosse dose d’autodérision.

Bien qu’ils semblent presque tous issus d’une autre époque, chacun est pourtant toujours actif dans différents domaines. Lundgren s’active dans des productions sortant directement en vidéo, Li est encore et toujours une immense vedette en Chine, Roberts tourne régulièrement, et on connaît tous la récente consécration de Rourke. Pour combler le reste de la distribution, Sly a fait appel à plusieurs fiers représentants de la masculinité : Crews, Couture, Austin, Nogueira et Daniels; des sportifs de haut niveau accompagnent les vieux routiers de l’action pour former le casting le plus masculin qui soit. Tel un Blier rassemblant tous les acteurs français, des plus grandes vedettes aux comédiens de seconde zone, Stallone s’est fait un devoir de regrouper les plus grands hommes du cinéma d’action, et il complète son équipe avec des champions de club vidéo. Rocky nous offre même une cerise bien sucré sur le dessus de ce sundae extra chocolat, caramel et arachides : une apparition, pas si surprise que ça puisque révélée dans la bande-annonce, d’Arnold Schwarzenegger et de Bruce Willis dans une scène relevant plus du fantasme populaire que d’une véritable clé de l’intrigue, mais nous y reviendrons. Plusieurs rumeurs, démenties ou non, courent sur les membres du casting de The Expendables, et la meilleure (ou la plus triste) serait que Jean-Claude Van Damme aurait refusé son rôle en raison du manque de substance de son personnage. Pour le reste, où est Norris?

Le défi de Stallone était d’élaborer un scénario qui pourrait donner une place assez importante à toute cette bande de gais lurons. Un récit rempli d’archétypes de la virilité, où chaque mâle est plus mâle que son prochain. En ce sens, le défi est relevé haut la main, car avec cette histoire de mercenaires partis défaire un régime de terreur en Amérique du Sud et trahis par leur propre pays, tous ont droit à une place de choix. Grâce à cette ligne narrative un peu bête, le cinéaste offre au public affamé des scènes d’anthologie, des duos et des duels de rêve. Outre le fameux trio formé de Sly, Schwarzy et Willis, nous aurons droit à un Li vs Lundgren magistral, un Stallone vs Roberts, un Statham lançant des couteaux et, comble de bonheur, un combat à mort entre Randy Couture et Steve Austin.

Le second pari était aussi bien simple : éviter à tout prix de se prendre au sérieux et de croire que ce film, testament de toute une tradition de films d’action surréalistes des années 1980 et 1990, serait le Sarabande du genre. Stallone emprunte donc la voie du kitsch, avec des scènes d’un ridicule bien dosé, comme celle où Rourke, peignant une guitare avec l’intention de la détruire ensuite, raconte comment son coeur fut brisé. Ou celle, magique, dans laquelle le personnage de Jet Li explique qu’il devrait être payé plus cher que les autres parce qu’il est plus petit. L’abus de tatouages, de motos et de concours de lancé de couteaux montre bien l’aspect pince-sans-rire de cet exercice baignant dans l'autocritique.

Avec ce nouvel opus, Stallone tente de nous faire revivre une époque où toutes les excentricités étaient permises. Une période qui s’est perdue dans le « réalisme » des Jason Bourne et autres Batman où l’absurdité et l’autodérision ne sont plus permises. Stallone nous replonge dans cette atmosphère où nous devions être indulgents pour mieux apprécier l’habileté qu’avait Steven Seagal à transformer un four  à micro-ondes en bombe à retardement, ou les talents de Jean-Claude Van Damme à se tenir debout sur une moto en mouvement. Quand Sly, soixante-quatre ans, saute dans un avion en train de décoller, on est forcé d’y croire, on le veut tellement, autant par compassion que par amour pour tout ce que le bonhomme incarne. Cette dominante crépusculaire, le créateur de Rocky l’exploite jusqu’au bout en montrant, à l’instar de Mabrouk El Mechri avec son JCVD, des héros d’action fatigués. Sans entrer dans les sombres profondeurs de leur âme, on assiste tout de même aux dernières prouesses d’hommes habités par un lourd passé de violence. Sans avoir la richesse symbolique du western crépusculaire américain, The Expendables offre tout de même le beau chant du cygne d’un genre ayant bercé l’enfance de bien des jeunes garçons.

Le discours social qu’offrait le dernier Rambo élevait Stallone au rang de cinéastes non pas engagé, mais disons un peu préoccupé. Dénonçant les excès de l’armée birmane, il offrait pour la première fois depuis le premier opus de la série une certaine profondeur à toute cette violence brutale. Les sacrifiés, de son titre français, nous transporte sur ce terrain familier qu’est la dictature en Amérique du Sud. Nous n’irons pas jusqu’à dire que le réalisateur de Rocky II, III et IV se permet une critique en règle des régimes d’Augusto ou d’Hugo, mais l’effort y est. En abordant cette thématique, il oppose l’absurdité du scénario à quelque chose de presque tangible. Cela devient malheureusement son plus grand défaut; le général, incarné par David Zayas, annule toute la crédibilité de l’opération par son aspect granguignolesque. Alors que le diabolique Birman de Rambo, tueur pédophile, faisait parfaitement l’affaire, le dictateur de ce faux pays sud-américain manque de jus, de cruauté. Il est par chance rattrapé par la désinvolture d’Eric Roberts, parfait manipulateur.

Il faudra ensuite relever la relation des personnages de Stallone avec les femmes. Une relation bien particulière apparue depuis le début de sa nouvelle carrière où il a pris conscience de son absence totale de sex-appeal. Sachant qu’il s’agit d’un non-sens que les jolies demoiselles apparaissant dans ses films puissent avoir une attirance physique pour son corps de vieil homme, il deviendra paternel envers elles. Geraldine Hughes dans Rocky, Julie Benz dans Rambo et Giselle Itié dans le film concerné le regarderont avec tendresse, mais toute tension sexuelle qu’on retrouvait dans The Specialist ou Demolition Man (des films dont Stallone n’était que la vedette) est totalement effacée. Il faut dire que pour tout le reste de son cinéma, il était marié avec Adrian.

Il est bien évident que tous les mots rédigés ci-haut proviennent d’un inconditionnel, d’un être dont la jeunesse fut accompagnée par toutes ces explosions et ces femmes objets. Coter un tel objet de passion est au bout du compte un sacrilège, un doigt d’honneur à tous ces moments de bonheur partagés avec les instances paternelles, au cinéma ou dans le salon. Coter The Expendables, c’est quantifier, mesurer cet instant de grâce qu’était la mornifle reçue quand l’autorité parentale eut apprit qu’un visionnement illégal du VHS de Terminator avait eu lieu dans le sous-sol de la maison familiale. Mais avant tout, il faut faire son travail, et bien que le coeur et l’âme donnerait la note parfaite à ce film m’ayant tiré quelques larmes, l’esprit doit rester neutre et impassible. Rendons à César ce qui lui appartient; le savoir faire de Stallone a rendu son dernier long métrage jouissif pour tout amateur de cascades, de coups de pied et de sang qui se respecte. D’une efficacité monstre, on oublie rapidement les maladresses scénaristiques et la morale, bien entendu, un peu douteuse (mais qui fait, au fond, partie intégrante de l’hommage). Mais, avant tout, Sylvester voulait réveiller en nous des souvenirs endormis, ou même presque disparus, enterrés par les caméras nerveuses et les héros tourmentés. Merci Sly.
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Critique publiée le 12 août 2010.